A man writing his application letter to enrol as a Volontaire pour la Défense de la Patrie, at the Governorate of Ouagadougou. November 2022. AFP / Olympia de Maismont
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Burkina Faso : armer les civils au prix de la cohésion sociale ?

Le président Ibrahim Traoré a considérablement renforcé le rôle des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) dans la lutte contre les jihadistes. Les VDP contribuent à la sécurisation du territoire, mais leurs actions alimentent également les violences. Avec l’aide des partenaires extérieurs, les autorités devraient les contrôler davantage.

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Que se passe-t-il?Au pouvoir depuis septembre 2022, le président Traoré a entrepris de recruter et d’armer plusieurs dizaines de milliers de nouveaux civils, nommés Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Il a ainsi considérablement renforcé l’emploi « d’auxiliaires de défense » initié en 2020 pour appuyer l’armée contre les jihadistes.

En quoi est-ce significatif?Le recours aux VDP est à double tranchant. Les VDP permettent une meilleure sécurisation du territoire, en renforçant les opérations militaires contre les groupes jihadistes. Mais, insuffisamment formés et encadrés par les forces armées, ils enregistrent de lourdes pertes et alimentent les violences contre les civils.

Comment agir? Les autorités devraient réduire le recrutement des VDP et poursuivre leur intégration sous conditions au sein des forces armées. Elles devraient renforcer leur formation, encadrement et représentativité. Elles devraient imposer des sanctions en cas d’exactions avérées, et améliorer les relations avec les communautés exclues des recrutements. Les partenaires pourraient les y aider.

Synthèse

Les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) sont un outil majeur des autorités dans leur stratégie de lutte contre-insurrectionnelle. Fers de lance de la mobilisation patriotique voulue par le président Traoré, ces civils en armes pallient les carences des forces armées en termes d’effectifs et de maîtrise du terrain. Mais les VDP, souvent placés en première ligne, subissent des pertes et leur action est à double tranchant. Certains VDP alimentent l’insécurité et fragilisent, par certaines de leurs actions, la cohésion sociale. Certains observateurs les accusent de s’en prendre trop fréquemment et impunément aux civils, et tout particulièrement aux communautés peul. Par ailleurs, leur présence au sein des communautés expose celles-ci aux représailles jihadistes. Pour contenir ces risques, les autorités burkinabè devraient ralentir leur recrutement et mieux utiliser les forces armées disponibles. Elles devraient aussi renforcer les mécanismes de contrôle, afin de sanctionner les exactions si elles sont avérées, et améliorer les relations entre les VDP et les communautés exclues des recrutements.

En janvier 2020, le président Kaboré a créé les VDP, placés sous l’autorité du ministère de la Défense, pour lutter contre les groupes jihadistes. Avant cette décision, des groupes de civils en armes, nommés Koglweogo («gardiens de la brousse» en mooré, la principale langue du pays) luttaient déjà contre le banditisme dans de nombreuses régions. L’apparition en 2013 de ces premiers groupes d’autodéfense qui émanaient d’initiatives locales et populaires a coïncidé avec la fin du régime de Blaise Compaoré, marquée par une forte augmentation de l’insécurité. À partir de 2017, les Koglweogo ont commencé à rentrer en confrontation directe avec les groupes jihadistes qui s’installaient au Burkina. Dépassé par la puissance de ces adversaires, le président Kaboré a militarisé les Koglweogo et en a fait des supplétifs de l’armée. Toutefois, leur opérationnalisation a connu de nombreuses lacunes. Privés du soutien promis, nombre d’entre eux ont déposé les armes en 2021 et 2022. Le régime du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en janvier 2022, n’a pas fondamentalement changé cette situation.

À son arrivée au pouvoir en septembre 2022 à l’issue d’un second coup d’Etat, le président Ibrahim Traoré annonce le recrutement de 50 000 nouveaux VDP afin de reconquérir le territoire national. Cette stratégie, en partie financée par un nouveau «Fonds de soutien patriotique» ouvert aux contributions citoyennes, suscite jusqu’à ce jour un réel engouement populaire. Les VDP se généralisent dans tout le pays, mais restent en majorité cantonnés dans les villes. Leur déploiement dans les zones rurales est progressif mais reste freiné par la présence d’une implantation jihadiste toujours très solide. Atout important sur le plan militaire, les VDP continuent de subir d’importantes pertes et de reprocher souvent à l’armée de ne pas suffisamment les soutenir. Leur mécontentement est croissant et pour l’instant plus tourné contre les forces armées que contre le président Traoré qui continue pour l’heure de bénéficier d’un large soutien dans leurs rangs.

Les jihadistes ciblent ... les villages où sont recrutés des [Volontaires pour la Défense de la Patrie], et font de nombreuses victimes civiles.

Bien que mobilisés pour répondre à l’insécurité, ces dizaines de milliers de supplétifs alimentent paradoxalement les violences par les délits et crimes présumés que certains d’entre eux commettent contre les civils, ce qui donne lieu à un cycle de vengeance par groupes armés interposés. Le recrutement des VDP s’est largement fait au détriment des communautés peul, souvent suspectées par les VDP et les autorités de collaborer avec les jihadistes. Dans ce climat de méfiance, certains VDP profitent de leur pouvoir pour solder des comptes locaux, souvent d’ordre foncier. Alors que la présence des VDP se généralise dans toutes les régions, les violences contre les civils s’étendent également et touchent des communautés jusqu’alors moins ciblées. Des exactions ont fait l’objet d’enquêtes et de procédures en justice qui touchent certains VDP. Cependant, ces mesures restent limitées, en particulier concernant les violences de masse présumées. Parallèlement, les jihadistes ciblent désormais les villages où sont recrutés des VDP, et font de nombreuses victimes civiles.

Une grande partie des partenaires occidentaux ont suspendu leur coopération ou hésitent à relancer de nouveaux projets depuis la survenue du second coup d’Etat, et sont confrontés à un dilemme dont ils n’arrivent pas à sortir. D’un côté, ils sont désorientés par le choix du régime de s’appuyer aussi fortement sur les VDP. Certains refusent par principe de soutenir l’armement des civils, d’autres ont bien conscience des risques et des violences associées à l’enrôlement des VDP. Ils ne peuvent, par conséquent, pas satisfaire la demande exprimée par le nouveau régime de fournir de l’armement pour des dizaines de milliers de VDP. D’un autre côté, ces mêmes partenaires ont investi, depuis plusieurs années, en priorité dans la sécurité. Ils ne veulent pas couper brutalement tous leurs efforts dans ce domaine et risquer de sacrifier les dividendes de leurs investissements. Ils craignent également que, s’ils ne satisfont pas les demandes des nouvelles autorités en matière de sécurité, celles-ci se tournent vers la Russie comme au Mali. Or, ce scénario se matérialise progressivement depuis le Sommet Russie-Afrique de juillet 2023.

Crisis Group redoutait déjà en 2020 que la mise en place des VDP se révèle à double tranchant. Ces craintes se confirment. Pourtant, les autorités, en plaçant les VDP au cœur de leur projet de sécurisation du territoire, ne peuvent pas faire machine arrière dans l’immédiat sans risquer de fragiliser le dispositif sécuritaire. Les VDP constituent, en outre, un soutien de poids pour le président Traoré.

Sans renoncer à cette option, elles peuvent cependant prendre des mesures pour en atténuer les effets négatifs. Elles devraient ralentir les recrutements des VDP, poursuivre leur intégration sous conditions dans l’armée, tout en renforçant les mécanismes de contrôle des VDP et de l’armée elle-même, fréquemment accusée de violences graves envers les civils. Les effets positifs d’une telle intégration des VDP dans l’appareil sécuritaire dépendent étroitement d’un recalibrage de la stratégie des forces armées vers une meilleure protection des civils. Les autorités devraient également créer et soutenir des dispositifs de contrôle à base communautaire prévus par les textes en vigueur pour contenir les risques d’exactions que pourraient commettre les VDP. Elles devraient enfin se préoccuper d’endiguer les conséquences de ces violences sur la cohésion sociale au niveau local et encourager le dialogue avec les communautés jusqu’ici de facto exclues des VDP.

De leur côté, les partenaires extérieurs, principalement occidentaux, ne peuvent pas contribuer à l’armement ni même à la formation militaire des VDP. Ils peuvent cependant proposer aux autorités de soutenir la mise en place des dispositifs visant à mieux contrôler leurs actions et limiter les possibles dérives. Plus largement, ils devraient réorienter leur stratégie en renonçant à investir prioritairement dans la sécurité, un domaine où leurs projets sont désormais difficilement compatibles avec les orientations des nouvelles autorités. L’Union européenne devrait notamment continuer de chercher à convaincre les autorités du caractère essentiel des appuis dans d’autres domaines (cohésion sociale, humanitaire) et réorienter de manière prioritaire leurs propres efforts dans cette direction. Les Etats-Unis, qui disposent encore d’une influence auprès des autorités, pourraient prendre la tête d’une coalition informelle de partenaires soucieux de dialoguer avec les autorités afin de les encourager à faire en sorte que les VDP deviennent une solution et non pas un outil contre-productif.

Bruxelles/Dakar, 15 décembre 2023

I. Introduction

Le Burkina Faso fait face depuis la fin de l’année 2015 à une expansion continue des insurrections jihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin, Jnim) et de l’Etat islamique au Sahel (EI-Sahel).[1] Initialement limitées aux provinces du Soum (pour le Jnim) et de l’Oudalan (pour l’EI-Sahel), toutes deux frontalières du nord du Mali, ces insurrections ont aujourd’hui gagné la majeure partie du pays. Le Jnim est actif ou circule dans onze des treize régions du pays.[2] Seules les régions du Centre et du Plateau central sont encore épargnées, exception faite des trois attaques survenues dans la capitale entre 2016 et 2018.[3] De son côté, l’EI-Sahel est présent dans la région du Sahel, notamment dans la province de l’Oudalan.

Ces insurrections armées ont provoqué la mort de milliers de personnes et le déplacement interne d’environ deux millions de Burkinabè. Ils ont aussi affecté la stabilité politique du pays et sont l’une des principales causes des deux coups d’Etat survenus en 2022. Après une attaque particulièrement meurtrière contre des gendarmes à Inata fin 2021, un premier putsch conduit par le colonel Paul-Henri Sandoago Damiba, a renversé, le 24 janvier 2022, le président Roch Marc Christian Kaboré, élu en 2015 et réélu en 2020. Incapable de rétablir la sécurité dans le pays, le président Damiba a été, à son tour, renversé, le 30 septembre 2022, par le capitaine Ibrahim Traoré, après une autre attaque majeure contre un convoi militaire lors de laquelle 37 soldats et plusieurs dizaines de civils sont morts.[4]


[1] Anciennement appelé Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) par commodité, ce groupe est, depuis mars 2022, une province autonome de l’Etat islamique au Sahel et a pris le nom d’EI-Sahel.

[2] Ce constat se fonde sur le recensement des attaques et incursions jihadistes au Burkina Faso, compilées par la base de données de l’ONG Acled.

[3] Dès 2017, le Jnim a étendu son action de la région du Sahel à celles du Centre-Nord, du Nord, de l’Est et de la Boucle du Mouhoun. Depuis 2022, ces régions servent de tremplin pour une progression du Jnim au Centre-Ouest, au Centre-Est, dans les Hauts-Bassins et plus modestement au Centre-Sud, tandis que les Cascades et le Sud-Ouest sont également affectées par les violences de cette organisation. La capitale a été la cible de trois attaques entre 2016 et 2018 : le 15 janvier 2016 contre un hôtel et deux café-restaurants, le 14 août 2017 contre le café Aziz Istanbul, et le 2 mars 2018 contre l’Ambassade de France et l’état-major des armées burkinabè.

[4] «Burkina Faso : l’attaque de Gaskindé, catalyseur du coup d’Etat», TV5 Monde, 6 octobre 2022.

Le président Traoré a fait de la reconquête des territoires tombés aux mains des jihadistes son objectif prioritaire.

Comme son prédécesseur, le président Traoré a fait de la reconquête des territoires tombés aux mains des jihadistes son objectif prioritaire. Pour cela, il a choisi d’aller beaucoup plus loin que ses prédécesseurs dans le recrutement, l’armement et le déploiement des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Créés en 2020 par le président Kaboré, les VDP sont des civils recrutés comme «auxiliaires de défense» par les forces armées.[1] Pour le président Traoré, «le défi de l’effectif est le plus important» ; il estime donc que le recrutement massif de civils pour épauler l’armée constitue la meilleure réponse pour relever ce défi.[2] Les VDP s’ajoutent à d’autres groupes d’autodéfense que sont les Dozos (une confrérie de chasseurs traditionnels présente dans les régions de l’Ouest, estimée à 2000 membres) et les Koglweogo.

Si les VDP sont désormais au cœur de la stratégie de sécurisation du territoire, et ont contribué à plusieurs victoires des forces de sécurité sur les groupes armés, ils n’ont pas permis jusqu’ici le retour à la paix et contribuent même à générer de nouvelles formes d’instabilité dans de nombreuses régions. Ils aident certes les forces armées par leur nombre, leur dévouement et leur bonne connaissance du terrain, mais ils aggravent également les fractures communautaires et exposent les populations civiles aux représailles jihadistes. Ce texte analyse l’effet à double tranchant des VDP et suggère des pistes pour que les autorités, qui ne peuvent, ni ne veulent, retourner en arrière, parviennent à mieux maîtriser les conséquences négatives de la mobilisation de dizaines de milliers de civils dotés d’armes de guerre.

Ce rapport repose sur un travail de terrain conduit en août 2022 puis en mars 2023 dans la capitale de Ouagadougou ainsi que dans plusieurs régions affectées par les insurrections armées. Parmi les dizaines de personnes interrogées figurent des ressortissants de ces différentes régions, des représentants de l’Etat, y compris des forces armées ainsi que des acteurs de la société civile. Ce travail de terrain a été complété par une série d’entretiens téléphoniques et électroniques avec de nombreux acteurs burkinabè et internationaux entre février et novembre 2023.


[1] Loi N°002-2020/AN Loi N°002-2020/AN portant institution de volontaires pour la défense de la patrie.

[2] Le Burkina Faso, avec 0,1 pour cent de militaires dans le pays en 2020, est bien en deçà des 0,6 pour cent de militaires que compte le Mali. « The Military Balance 2020 », International Institute for Strategic Studies, février 2020. Rencontre entre le président Traoré et les étudiants de l’université de Ouagadougou, 27 janvier 2023.

II. Les VDP : des civils en armes au cœur de la contre-insurrection

A. La première vague de VDP (2020-2022) : des débuts peu convaincants

Le 21 janvier 2020, après une année de forte poussée jihadiste, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité un projet de loi soumis par le gouvernement portant création des VDP, des «auxiliaires de défense» formés, équipés et encadrés par le ministère de la Défense.[1] L’Assemblée a entériné une décision du président Kaboré exprimée deux mois plus tôt en réaction à la mort de 38 civils tués dans une embuscade du Jnim dans la région de l’Est.[2] Cette attaque jihadiste contre des civils, à l’époque la plus lourde depuis le début des insurrections armées, fin 2015, a créé une onde de choc dans le pays. En réponse, le président Kaboré a appelé « à la mobilisation générale des filles et des fils de la Nation contre le terrorisme».[3]

En créant les VDP, les autorités ont aussi tenté d’encadrer et d’utiliser des groupes d’autodéfense apparus dès 2013, avant les premières attaques jihadistes. Dans de nombreuses régions du pays, des communautés villageoises avaient créé des Koglweogo pour compenser l’aggravation de l’insécurité, favorisée par l’affaissement puis le renversement du régime de Blaise Compaoré en octobre 2014.[4] Les Koglweogo ont contribué à sécuriser les espaces ruraux et ont considérablement réduit le banditisme.[5] À partir de 2017, alors que les groupes jihadistes se développaient et étendaient leurs actions de la région Sahel vers celles du Nord et du Centre-Nord, les Koglweogo se sont impliqués dans la lutte contre cette nouvelle menace que l’armée n’arrivait pas à contenir.[6]

Bien qu’émanant d’initiatives locales de sécurité très décentralisées, les Koglweogo ont finalement reçu le soutien du pouvoir central. En 2019, plusieurs cadres du parti du président Kaboré alors au pouvoir, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), ont décidé d’armer les Koglweogo du Loroum et de Boulsa avec l’appui probable d’autorités coutumières du plateau central.[7] Ces dirigeants considéraient alors l’armement des civils comme une solution face à l’expansion jihadiste dans le pays. S’ils s’inspirent des Comités de défense de la révolution (CDR) mis en place par le capitaine Thomas Sankara, président du pays entre 1983 et 1987, cette référence sert surtout à légitimer leur démarche en la rattachant à la figure positive et vénérée de ce dernier.[8] La comparaison avec les CDR est pourtant trompeuse. Les CDR n’ont jamais eu à affronter d’ennemis disposant d’armes de guerre. De plus, ils agissaient comme une structure d’encadrement idéologique, un rôle que les Koglweogo n’ont jamais endossé.

L’opérationnalisation des VDP s’est rapidement heurtée à de nombreux problèmes, notamment matériels, qui subsistent encore aujourd’hui (voir le chapitre II, section D). Plus largement, les premiers VDP sont souvent sortis du cadre précis de la loi censée réglementer leurs activités. Celle-ci exigeait, par exemple, que les VDP servent les intérêts de leur «village ou secteur de résidence», mais des VDP se sont attribué des zones d’activité plus étendues, couvrant parfois une province entière à l’instar de Ladji Yoro, chef d’un groupe de VDP de la région Nord, qui opérait sur l’ensemble de la province du Loroum.[9] Par ailleurs, sur le terrain, l’identification des VDP a posé de nombreux problèmes quand des civils sans formation se sont mêlés à eux, sans même s’être enregistrés auprès des autorités.[10]


[1] Ibid. Concernant la dégradation de la situation en 2019, voir le rapport Afrique de Crisis Group N°287, Burkina Faso : sortir de la spirale des violences, 24 février 2020.

[2] L’embuscade a ciblé, le 7 novembre 2019, un convoi minier de la compagnie Semafo dans la commune de Boungou.

[3] «Lutte anti-terroriste : Roch sort l’artillerie lourde», Minute.bf, 7 novembre 2019.

[4] Le 31 octobre 2014, le président Blaise Compaoré est renversé par une insurrection populaire après trois semaines de crise politique déclenchée par sa volonté de briguer un nouveau mandat. Sa chute entraîne celle du système qu’il a mis en place dès son arrivée au pouvoir en 1987, en particulier avec la dissolution du puissant Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Voir le rapport de Crisis Group, Burkina Faso : sortir de la spirale des violences, op. cit.

[5] Ibid.

[6] C’est notamment le cas dans les fiefs koglweogo de Boulsa (province du Nanmentenga, Centre-Nord) et du Loroum (région du Nord) où les Koglweogo s’impliquent dans la lutte contre-insurectionnelle aux côtés des forces armées nationales. Rapport de Crisis Group, Burkina Faso : sortir de la spirale des violences, op. cit.

[7] Entretiens de Crisis Group, responsable associatif et analyste sécuritaire burkinabè, Ouagadougou, août 2020.

[8] Entretiens de Crisis Group, responsable associatif et analyste sécuritaire burkinabè, Ouagadougou, août 2020. Voir les propos de l’ancien secrétaire général des CDR, Pierre Ouédraogo, qui appelaient en octobre 2019 à la mise en place des futurs VDP. «Contre les jihadistes, la résistance populaire», RFI, 15 octobre 2019.

[9] Ladji Yoro est mort dans une attaque du Jnim en décembre 2021. Entretien électronique de Crisis Group, ancien membre des forces armées burkinabè, avril 2023.

[10] Entretiens de Crisis Group, observateurs au Centre-Nord et à l’Est, Ouagadougou, août 2022.

Les VDP se sont rapidement trouvé en première ligne de la lutte contre-insurrectionnelle alors que la loi les cantonnait à des fonctions défensives.

Surtout, les VDP se sont rapidement trouvé en première ligne de la lutte contre-insurrectionnelle alors que la loi les cantonnait à des fonctions défensives.[1] L’armée, sous le choc de lourdes pertes, avait en effet tendance à se retrancher dans des camps, laissant les VDP seuls face aux jihadistes.[2] Qui plus est, quelques mois après la création des VDP, l’Etat a conclu un accord (dit de Djibo) avec le Jnim, au terme duquel les forces armées et le Jnim ne se sont pas affrontés entre octobre 2020 et mars 2021.[3] Cet accord n’associait cependant pas les VDP qui sont devenus alors la principale cible des jihadistes du Jnim.[4]

Particulièrement exposés, ils ont accumulé les défaites et subi de nombreuses pertes en vies humaines dans leurs principaux bastions à Sollé (Loroum), Gorgadji (Seno), Arbinda et Kelbo (Soum), Bourzanga (Bam), Tanwalbougou (Gourma). Fragilisés par ces revers, les VDP se sont sentis abandonnés par l’Etat ou par les forces armées, et ont développé un fort ressentiment à leur égard.[5] Des messages d’insultes à l’adresse des autorités ont alors circulé en nombre sur les réseaux sociaux.[6]

Entre 2021 et 2022, cette situation a poussé de nombreux VDP à déposer les armes et, souvent, à quitter leurs localités. Ces défections ont été le plus souvent des choix individuels, et plus rarement des décisions collectives. Dans le Centre-Nord, par exemple, des dizaines de VDP ont déposé les armes à Nagbingou (Namentenga) ou à Bourzanga (Bam), fuyant à la capitale Ouagadougou ou en Côte d’Ivoire.[7] Dans le Nord, les VDP, en position de force en 2020, ont reculé à partir de 2021 face à la pression jihadiste au point de se désengager très largement des combats jusqu’à l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré.[8] Cette pression a incité certains VDP, et plus largement les communautés locales, à négocier avec le Jnim les conditions de leur désengagement.[9] Ces derniers se sont généralement passés en bon ordre, mais ont parfois posé quelques problèmes de perte ou de dissémination des armes.[10]

Le régime du président Damiba, le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), a développé au cours de sa courte existence une approche ambivalente vis-à-vis des VDP. Il a rapidement affiché sa méfiance envers ces groupes dont il a notamment dénoncé les abus. Mais face à la précarité de la situation sécuritaire, il a cherché à mieux les encadrer sans remettre en cause leur existence. Pour cela, il a créé, en juin 2022, la Brigade de veille et de défense patriotique (BVDP), rattachée au Commandement des opérations du théâtre national (COTN) créé en février de la même année pour coordonner l’ensemble des opérations anti-terroristes sur le territoire. En même temps qu’il s’employait à mieux les contrôler, le gouvernement a tenté d’augmenter la présence des VDP sur le territoire en annonçant en août 2022 le projet de créer des VDP dans toutes les communes du Burkina.[11]

Ni la volonté d’encadrement, qui a tardé à être mise en place, ni le recrutement généralisé ne se sont finalement concrétisés. Cette dernière ambition s’est heurtée au refus de certaines communautés de mettre en place des VDP. Surtout, le président Damiba a été renversé quelques mois seulement après ces annonces et n’a donc pas eu le temps de traduire ces ambitions en actes.


[1] L’article 3 de la loi 002-2020 précise que la mission du VDP est de contribuer «à la défense et à la protection des personnes et des biens de son village ou de son secteur de résidence».

[2] Commentaire de Crisis Group, « L’insécurité, facteur déterminant du putsch de Ouagadougou », 28 janvier 2022.

[3] Entretiens électroniques de Crisis Group, acteurs impliqués dans la négociation de l’accord, août-septembre 2021.

[4] Ibid.

[5] Début 2021, à Kourao (Bourzanga, province du Bam), les VDP ont initié une opération dans un village de Tongomayel, au cours de laquelle plusieurs civils ont été tués. Lorsque le Jnim a attaqué les VDP concernés, les détachements de Gaskindé et de Djibo auraient refusé de leur porter assistance. À Gorgadji, le 15 avril 2021, après la mort de dix VDP, les forces armées auraient refusé de récupérer les corps à quelques kilomètres de la ville. Entretiens de Crisis Group, ressortissants des régions du Centre-Nord et du Sahel, Ouagadougou, août 2022.

[6] Crisis Group a eu accès à ce genre de message. Dans l’un d’eux, un VDP de Tanwalbougou (Est) insulte le président Kaboré et l’accuse d’avoir abandonné les VDP. Audio authentifié et consulté par Crisis Group en septembre 2021.

[7] Entretiens de Crisis Group, acteurs humanitaires et ressortissants du Centre-Nord, Ouagadougou, août 2022.

[8] À Sollé (Loroum), Ladji Yoro, devenu très critique face au manque d’appui de l’armée, a été tué en décembre 2021 dans une embuscade du Jnim avec 41 autres VDP. «Burkina Faso : mort d’un héros national, Ladji Yoro», Le Point, 29 décembre 2021.

[9] Comme ce fut le cas à Pobe-Mengao (Soum), à Thiou (Yatenga) en 2021, puis à Titao (Lorum) en septembre 2022. Entretiens de Crisis Group, acteurs impliqués dans les processus de Thiou et Titao, Ouagadougou, août 2022. Voir aussi l’entretien avec le maire de Thiou qui décrit le processus. «Ghassimi Diallo, maire de la commune de Thiou : “J’ai négocié avec les terroristes pour que ma commune ne soit pas attaquée”», Sidwaya, 13 mai 2021.

[10] Si quelques cas isolés de VDP ayant déserté avec leurs armes ont été mentionnés par nos interlocuteurs, dans la quasi-totalité des cas, lors des démobilisations, les VDP ont restitué leurs armes aux forces armées. Dans le cas des démobilisations négociées avec le Jnim, certains VDP ont restitué leurs armes aux forces armées, d’autres ont dû les abandonner au Jnim. Entretien électronique de Crisis Group, acteur de la société civile dans la région Nord, septembre 2023.

[11] «Interview du Premier ministre Albert Ouédraogo : “Nous appelons les Burkinabè à l’union sacrée”», Sidwaya, 24 août 2022

B. La deuxième vague de VDP : les acteurs d’une « nation en armes »

Peu après son arrivée au pouvoir le 30 septembre 2022 à la tête du deuxième Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR 2), le président Traoré a fait de la «libération du territoire» sa priorité absolue. Bien plus que ses prédécesseurs, il a placé les VDP au centre de la réponse anti-jihadiste.[1]

Cette orientation est liée à la conviction du président Traoré que les VDP sont décisifs dans une guerre contre-insurrectionnelle où la maîtrise du terrain est essentielle et où la mobilisation des forces armées ne donne pas entière satisfaction.[2] À plusieurs reprises, les VDP ont réussi à repousser des attaques jihadistes ou même tendre des embuscades aux jihadistes comme à Arbinda (Soum), Gorgadji (Seno), à Piéla (Gnagna) ou plus récemment, en juin 2023, à Falagountou (Seno).[3]

Pour le président Traoré, les VDP permettent aussi de compenser l’insuffisance des effectifs et le manque d’engagement de certaines unités de l’armée, laquelle souffre de divisions internes aggravées par les putschs de 2022.[4] Ainsi, la gendarmerie, qui a perdu la place privilégiée qu’elle occupait sous le président Kaboré, est désormais moins active sur le front anti-terroriste.[5] Le président Traoré, qui cherche à reprendre en main la gendarmerie après avoir arrêté ou remplacé plusieurs cadres nommés sous le précédent régime, a décidé de s’appuyer davantage sur la police. Dès son arrivée au pouvoir, il a soutenu la mobilisation des forces de police dans la lutte anti-terroriste, avec la mise en place de deux Groupements des unités mobiles d’intervention (Gumi).[6]


[1] Voir le discours du président Traoré lors de sa prestation de serment devant le Conseil constitutionnel le 21 octobre 2022. Prestation de serment du capitaine Ibrahim Traoré devant le Conseil constitutionnel, «Nous pouvons gagner cette guerre», Burkina24, 21 octobre 2022.

[2] Cette conviction a probablement été construite lors de son expérience comme chef d’artillerie à Kaya (Centre-Nord) où il a beaucoup côtoyé les VDP. Entretien de Crisis Group, acteurs de la société civile, Ouagadougou, mars 2023.

[3] Entretiens électroniques de Crisis Group, ressortissants des régions du Sahel et de l’Est, octobre-novembre 2023.

[4] La gendarmerie, qui a perdu la place privilégiée qu’elle occupait sous le président Kaboré, est désormais moins active sur le front anti-terroriste. Entretiens électroniques de Crisis Group, membres et anciens membres des forces de défense et de sécurité, mars-juillet 2023.

[5] Ibid.

[6] «Burkina Faso : la Police nationale s’ouvre aux médias», Faso 7, 26 novembre 2022.

[Les VDP] sont d’abord des acteurs de renseignement utiles au régime car répartis sur tout le territoire.

Le chef de l’Etat et son entourage doivent faire face à des tensions au sein des forces armées qui pourraient menacer la stabilité de leur pouvoir.[1] De ce point de vue, les VDP pourraient servir à consolider le régime actuel. Ce sont d’abord des acteurs de renseignement utiles au régime car répartis sur tout le territoire. Ils pourraient ensuite se mobiliser pour défendre le régime si celui-ci était menacé. Si les VDP n’ont jusqu’ici jamais été utilisés à cette fin, le régime a déjà su mobiliser ses partisans à Ouagadougou lorsque des rumeurs de coup d’Etat contre Traoré ont circulé en septembre 2023.[2]

Pour toutes ces raisons, le gouvernement du MPSR 2 a annoncé, le 24 octobre 2022, le recrutement de 50000 VDP, un chiffre qui représente le double de l’effectif total de l’armée. Ce projet de recrutement massif a suscité un réel engouement populaire, une partie croissante de la population entendant jouer un rôle face à l’insécurité qui s’étend continuellement dans le pays. Dès novembre 2022, les autorités ont annoncé avoir reçu plus de 90000 candidatures.[3] Fort de cet engouement, le Premier ministre, Apollinaire Joachim Kyélèm, a porté, en mai 2023, l’objectif de recrutement à plus de 100000 VDP.[4] Les chiffres précis sont difficiles à obtenir. Il est vraisemblable qu’à la fin septembre 2023, entre 30000 et 60000 VDP (selon les autorités) auraient été recrutés et mobilisés.[5] L’immense majorité de ces VDP sont des hommes, mais des femmes ont également été recrutées et déployées sur le front.

Le recrutement est progressif. Le mode de recrutement se fait sur convocation individuelle, ce qui prend plus de temps, et les autorités ne veulent pas saturer les capacités des dispositifs nationaux de formation et d’intégration. Il leur faut également du temps et des moyens pour doter en armement des milliers de civils nouvellement recrutés.[6] En mars 2023, un haut responsable décrivait un processus de recrutement «adapté aux contraintes logistiques auxquelles les autorités font face».[7]

Les 50000 nouveaux VDP sont divisés en deux nouvelles catégories : des VDP nationaux dont les effectifs initiaux devaient atteindre 15000 et des VDP communaux dont le nombre annoncé par les autorités est de 35000.[8] Les premiers ont vocation à combattre aux côtés de l’armée sur l’ensemble du territoire national alors que les seconds sont en charge de la sécurité de leur commune, un espace plus étendu que celui des VDP de la première vague qui couvraient uniquement un village.[9] Les VDP nationaux relèvent du ministère de la Défense et sont formés dans trois camps de l’armée.[10] Les VDP communaux, sous la responsabilité du ministère de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de la sécurité (MATDS), sont formés à l’intérieur des commissariats de police ou des casernes de la gendarmerie proches de leur localité d’origine.[11]

Officiellement, les VDP nationaux «sont quasiment comme des militaires» de l’aveu d’un responsable burkinabè interrogé par Crisis Group.[12] Ils sont insérés au sein des détachements de soldats, bénéficient du même équipement que les militaires et opèrent sous les ordres de l’armée avec laquelle ils conduisent des opérations conjointes à vocation offensive au sein de «bataillons mixtes».[13] À terme, de nombreux VDP nationaux ont vocation à intégrer l’armée, à l’instar d’une récente vague de recrutement de 5 000 militaires sélectionnés en priorité parmi les «jeunes VDP» nationaux, selon les déclarations du ministre de la Défense, le 23 février dernier.[14]

Les VDP communaux sont assignés à une mission défensive de sécurisation des territoires dont ils sont originaires.[15] Ils doivent quadriller les zones pour prévenir l’expansion ou le retour des jihadistes dans les zones rurales reconquises. Ils sont également censés sécuriser les infrastructures critiques (ponts, écoles, antennes électriques, site des entreprises nationales d’approvisionnement en eau ou en électricité, etc.), ce qu’ils ne font, pour le moment, que dans quelques localités.[16]

L’objectif visé est le déploiement de 100 VDP par commune sur l’ensemble du territoire, qui en compte 351.[17] De fait, des VDP ont fait leur apparition dans de nombreuses communes dont ils étaient jusqu’ici absents, en particulier dans les zones nouvellement exposées à la violence jihadiste : certaines provinces de la Boucle du Mouhoun, des Hauts-Bassins, des Cascades et du Sud-Ouest. C’est également le cas au Centre-Ouest ainsi qu’au Centre-Est où les communautés locales avaient largement résisté jusqu’ici à l’installation de Koglweogo.[18]


[1] Entretiens électroniques de Crisis Group, membres et anciens membres des forces de défense et de sécurité, mars-juillet 2023.

[2] À la suite des tensions apparues dans plusieurs casernes de Bobo Dioulasso et de Ouagadougou le mercredi 20 septembre, le 26 septembre, plusieurs soutiens du régime – dont l’activiste Ibrahima Maïga – ont appelé sur Facebook la population à se mobiliser dans des lieux stratégiques de Ouagadougou. Plusieurs centaines de militants se sont mobilisés en moins de 30 minutes.

[3]«La nouvelle approche militaire des autorités burkinabè est-elle risquée ?», Institut d’études de sécurité, 12 décembre 2022.

[4] «“Pas d’élections sans sécurité”, déclare le gouvernement après de nouvelles attaques», France 24, 30 mai 2023.

[5] Le commandant de la Brigade de veille et de défense patriotique a annoncé le chiffre de 60000, mais d’autres estimations non officielles avancent des chiffres plus proches de 30000. «Interview du lieutenant-colonel Thomas Sawadogo : “Nous sommes satisfaits de l’engagement patriotique des VDP”», Sidwaya, 28 septembre 2023.

[6] Entretien de Crisis Group, haut responsable burkinabè, Ouagadougou, mars 2023.

[7] Ibid.

[8] «Le Burkina Faso va recruter 50000 volontaires pour renforcer la lutte de l’armée contre le djihadisme», Le Monde, 26 octobre 2022.

[9] Au Burkina Faso, une commune est à la fois une localité à part entière et une agglomération de villages rattachés à cette localité.

[10] Entretien électronique de Crisis Group, ancien militaire burkinabè, avril 2023.

[11] La loi ne précise pas cette distinction de la chaîne de la responsabilité. Toutefois, l’article 2 de la loi N°028-2022 du 13 décembre 2022 précise que les VDP sont des auxiliaires des Forces armées nationales (FAN) et des Forces de sécurité intérieure (FSI), alors que la loi initiale votée en 2020 ne les rattachait qu’aux FAN.

[12] Entretien de Crisis Group, haut responsable burkinabè, Ouagadougou, mars 2023.

[13] Ibid.

[14] «Le Burkina Faso lance un “recrutement exceptionnel” de 5000 militaires», Jeune Afrique, 24 février 2023.

[15] Entretiens électroniques de Crisis Group, officier burkinabè, ressortissants des régions Centre-Nord, Nord et Est, et analystes sécuritaires, mai-juillet 2023.

[16] Entretien de Crisis Group, haut responsable burkinabè, Ouagadougou, mars 2023. Dans certaines zones qui ne sont pas assiégées par les jihadistes comme Dassa (Centre-Ouest) ou Mangodara (Cascades), les VDP sont déjà mobilisés pour la sécurisation des écoles, par exemple. Entretiens électroniques de Crisis Group, analystes sécuritaires, mai 2023.

[17] Entretien de Crisis Group, haut responsable burkinabè, Ouagadougou, mars 2023.

[18] Entretien de Crisis Group, ressortissant de l’Est, Ouagadougou, mars 2023.

Les populations de la capitale ... sont conscientes que le jihadisme n’est plus un phénomène périphérique.

En plus d’un certain engouement populaire, trois raisons principales expliquent l’enrôlement massif de VDP dans des régions où leur présence était jusqu’ici assez faible. D’abord, les populations de ces zones ressentent la nécessité de résister à la pression jihadiste croissante. C’est notamment le cas des populations nouvellement déplacées, de victimes ou de parents de victimes (hommes ou femmes), de ces groupes qui sont prêts à se mobiliser à travers les VDP. Ensuite, les populations de la capitale, qui représentent le plus grand nombre des nouvelles recrues, sont conscientes que le jihadisme n’est plus un phénomène périphérique, mais qu’il se rapproche dangereusement de la ville de Ouagadougou. Enfin, les Dozo et les quelques groupes de Koglweogo qui résistaient à leur enrôlement au sein des VDP durant la première vague craignent que l’arrivée de recrues VDP les marginalise, surtout si celles-ci appartiennent à des communautés rivales.[1] Ces deux groupes ont donc finalement rejoint en grand nombre les VDP.

Dans l’esprit des autorités, les VDP, nationaux comme communaux, sont l’incarnation d’un sursaut patriotique national qui doit être financé par les forces vives de la nation. À cette fin, le 9 décembre 2022, les autorités ont annoncé la création d’un «Fonds de soutien patriotique» pour l’effort de guerre. Ils veulent mobiliser 152 millions d’euros en 2023 pour financer la lutte contre le terrorisme, en particulier le recrutement et l’équipement des VDP. Ce fonds, géré par le ministère de l’Économie, repose sur des contributions volontaires des citoyens burkinabè et des entreprises ainsi que sur différents prélèvements : un prélèvement d’un pour cent sur le salaire net des travailleurs du public et du privé sur la base du volontariat et des taxes sur certains produits de grande consommation (principalement alcool, tabac et téléphone mobile).

La mobilisation financière connaît elle aussi un fort engouement populaire. À la date du 30 août 2023, un tiers de l’objectif fixé par le Fonds de soutien patriotique, soit 51,7 millions d’euros, avait été officiellement récolté.[2] Toutefois ces sommes semblent assez insuffisantes pour entretenir sur le long terme un effectif aussi important. Le ministre de l’Économie évalue le coût de trois mois de prise en charge des VDP à 20 millions d’euros, sans préciser sur la base de quel effectif le calcul est réalisé : l’effectif actuel ou l’objectif initial de 50000.[3] Dans ce dernier cas, les sommes récoltées permettraient de couvrir seulement sept mois et demi de fonctionnement des VDP.[4]

Le président Traoré a insufflé un nouvel espoir dans les rangs des VDP, et plus largement parmi la population. Les rangs des VDP ont été regonflés depuis son arrivée au pouvoir, mais le risque de retomber dans les mêmes difficultés que celles rencontrées par la première vague de VDP est bien réel.


[1] Entretiens électroniques de Crisis Group, ressortissants de l’Ouest, mai 2023.

[2] Au total, 71 pour cent de cette contribution provient des taxes prélevées sur la bière par l’entreprise de distribution de boissons Sodibo-Brakina. Toutefois, de très nombreuses contributions d’associations, d’entreprises, de ressortissants burkinabè à l’étranger ont été enregistrées sur toute l’étendue du territoire, y compris dans des villes sous embargo et privés d’approvisionnement comme Djibo. «Fonds de soutien patriotique : 34980743686 FCFA mobilisés à la date du 31 août», LeFaso.net, 5 septembre 2023.

[3] Ibid.

[4] La prime des VDP est de 60000 FCFA par VDP/mois, soit 90 euros. À cela s’ajoutent les allocations d’alimentation et de carburant, les frais de prise en charge en cas d’invalidité ou de décès, ainsi que les coûts d’équipement (tenue, armement). Arrêté conjoint N°2023-013 du 25 janvier 2023.

C. Des difficultés à se déployer pour sécuriser les territoires

La distinction opérée entre VDP nationaux et communaux semble répondre aux besoins opérationnels au Burkina Faso, à savoir un équilibre entre projections offensives aux côtés des forcées armées et protection défensive du territoire. Il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de cette stratégie, mais après près d’une année de fonctionnement, on peut établir les premiers constats suivants.

Cette distinction des fonctions entre VDP nationaux et communaux reste pour l’instant théorique au sens où ils opèrent souvent ensemble face aux forces jihadistes. Là où la pression jihadiste est la moins forte, comme dans les Cascades ou le Sud-Ouest, les VDP peuvent mener, conjointement ou non avec l’armée, des opérations offensives contre les insurgés dans les zones rurales reculées. Ils le font également au Centre-Est où pourtant cette pression est plus importante. Ailleurs, où la pression est plus forte, VDP nationaux et communaux concentrent leurs opérations avec les forces armées dans les grandes villes des provinces et leurs environs immédiats.[1] Les déplacements des VDP nationaux et communaux se limitent souvent à ces espaces. Les sorties plus lointaines se résument souvent à de grands convois mixtes armée-VDP qui sillonnent les grands axes – généralement pour sécuriser des convois de ravitaillement ou escorter des commerçants.[2]

La majorité des VDP restent donc encore concentrés dans ces grandes villes, dont les jihadistes ne tentent pas de s’emparer, comme Ouahigouya, Dédougou, Tenkodogo, Kaya ou Fada N’Gourma. Les nouvelles recrues y rejoignent les VDP déjà mobilisés depuis la première vague de recrutement, mais aussi les VDP originaires de communes ou de villages environnants trop exposés aux attaques jihadistes et qui affluent dans ces villes plus sûres. Ainsi, différents groupes de VDP se regroupent pour faire masse et s’appuyer mutuellement.[3] En juin 2023, près de 1700 VDP communaux et nationaux seraient ainsi basés à Fada N’Gourma (Gourma), et plus de 700 à Ouahigouya (Yatenga).[4]


[1] Lors de l’embuscade de Bourasso (Boucle du Mouhoun), qui a coûté la vie à au moins 27 VDP le 27 mai 2023, des VDP nationaux et communaux opéraient conjointement. Dans la région de l’Est, les VDP opèrent également conjointement. Entretien électronique de Crisis Group, analyste sécuritaire, juin 2023.

[2] Entretien électronique de Crisis Group, membre des forces de défense et de sécurité, mai 2023.

[3] Entretien de Crisis Group, analyste sécuritaire, Ouagadougou, mars 2023.

[4] Entretiens électroniques de Crisis Group, analyste sécuritaire burkinabè et ressortissant de l’Est, mai 2023.

Les autorités ont entamé le redéploiement de ces VDP ... avec les forces armées dans les zones reculées par le biais d’opérations militaires destinées à libérer les territoires.

Les autorités ont entamé le redéploiement de ces VDP souvent avec les forces armées dans les zones reculées par le biais d’opérations militaires destinées à libérer les territoires. L’objectif est souvent de réinstaller puis de sécuriser les populations déplacées. Quelques avancées ont été enregistrées, mais nécessitent d’être consolidées sur le moyen et long terme tant la situation sécuritaire dans ces villages reconquis reste fragile. Ainsi, dans la région Nord, les populations d’une vingtaine de villages des communes de Gourcy, Oula et Zogoré ont pu être réinstallées depuis l’été 2023 et sont toujours en place.[1] Par ailleurs, les écoles sont parfois rouvertes dans les villages reconquis, même si cette timide relance de l’action publique semble plus imposée par l’administration que voulue par les fonctionnaires qui redoutent que la situation se dégrade à nouveau.

Dans d’autres espaces, cependant, les populations réinstallées ont dû repartir. Ainsi, à l’Est, une unité spéciale de la police Gumi appuyée par les VDP s’est redéployée à Yamba, entraînant le retour des populations. Mais une très lourde attaque en octobre contre cette coalition Gumi-VDP a provoqué le départ d’une partie des populations.[2]

La complexité de ces redéploiements, caractérisés par un mélange de réoccupation très localisée et fragile des territoires et d’échecs caractérisés par la résilience des groupes jihadistes, explique en partie la lenteur du processus. En trop petits nombres, souvent inférieurs à l’objectif de 100 par commune, les VDP, une fois installés dans les territoires, risquent de se retrouver isolés et impuissants à sécuriser leur localité face aux jihadistes. Les jihadistes fuient généralement lors des missions de réinstallation opérées par les VDP et les forces armées, préférant éviter les affrontements à ce moment, mais ils reviennent généralement une fois la mission de l’armée terminée pour cibler les VDP et les populations restées sur place. Le processus de sécurisation des réinstallations nécessitera donc des efforts continus dans la durée.


[1] Entretien électronique de Crisis Group, analyste sécuritaire, octobre 2023.

[2] Entretien électronique de Crisis Group, acteur de la société civile à l’Est, octobre 2023.

D. Le quotidien difficile des VDP : manque de moyens, frustrations et défiance

Malgré la volonté du président Traoré de mieux traiter les VDP, leur organisation et leur emploi continuent de se heurter à de nombreux défis, souvent similaires à ceux qui se posaient en 2020-21.[1]

En dépit de l’existence du Fonds de soutien patriotique, certains VDP se plaignent toujours du retard du paiement des primes. Cela crée une certaine frustration, voire une démotivation, même si les collectes de dons organisées à l’échelle des communes compensent parfois ces retards de paiement. Des VDP déplorent également l’absence de tenues (notamment pour les VDP communaux), ou d’équipements de protection (jambières par exemple).[2] Ils doivent souvent se partager un nombre limité d’armes automatiques individuelles (AK47), dont la qualité n’est pas toujours bonne.[3] L’absence de dotation en véhicule motorisé ou en carburant réduit leur mobilité alors même qu’ils sont censés couvrir un territoire plus large.[4]

Les VDP communaux sont les plus affectés par ces problèmes et certains espèrent basculer dans le corps des VDP nationaux moins concerné par les problèmes d’équipement, sans doute en raison de leur mission offensive.[5] Les doléances des VDP communaux font parfois l’objet de messages audios ou vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux.[6] Les autorités militaires s’en inquiètent et interdisent l’expression publique de telles manifestations de mécontentement.[7]


[1] La première vague de VDP a reçu une formation militaire sommaire de quatorze jours. Ils manquaient d’armes et se plaignaient de retards fréquents dans le versement de leur assistance financière (à l’époque 300 euros/mois par groupes de VDP).

[2] Entretien électronique de Crisis Group, ancien membre des forces de défense et de sécurité, juin 2023.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] De tels messages ont circulé après l’initiative de VDP à Tenkodogo, Soudougui (Centre-Est) ou Kongoussi (Centre-Nord). «Lutte contre le terrorisme : de plus en plus de plaintes et de dénonciations chez les VDP», Netafrique.net, 9 mai 2023.

[7] Entretien électronique de Crisis Group, ancien membre des forces de défense et de sécurité, juin 2023.

Les pertes humaines qu’enregistrent les VDP lors des attaques jihadistes sont très élevées.

Les pertes humaines qu’enregistrent les VDP lors des attaques jihadistes sont très élevées. Selon les données d’Acled, au moins 644 VDP auraient été tués entre le 1er janvier 2023 et le 6 octobre 2023 dans 148 attaques.[1] Les pertes les plus importantes ont été enregistrées au Centre-Nord, au Nord et au Centre-Est, à l’Est et, dans une moindre mesure, dans la Boucle du Mouhoun.

Conséquence de ces pertes, les risques de défection augmentent même si jusqu’ici le phénomène apparaît encore très limité. Aucun chiffre précis n’est disponible, mais des sources sécuritaires estiment qu’entre 400 et 600 VDP auraient renoncé à leur engagement sur une base individuelle ou par petits groupes, soit 1 à 2 pour cent du total des effectifs.[2]

Les pertes humaines affectent également la collaboration entre VDP et forces armées. Comme en 2021 et 2022, des VDP accusent les militaires de ne pas respecter leurs promesses, de les laisser seuls en première ligne ou de ne pas les assister en cas d’attaque. Plusieurs incidents illustrent ce phénomène. À Bouroum (Namentenga, Centre-Nord), des VDP et une unité de l’armée, qui avaient quitté la ville face à l’insécurité en 2022, ont tenté de s’y redéployer en mai 2023. Cependant, l’armée a, à nouveau, quitté la ville quelques jours plus tard, exposant les VDP à une attaque qui a coûté la vie à 31 d’entre eux.[3] À Partiaga (Est) en mars, à Zekeze, près de Bittou (Centre-Est) où 23 civils et VDP ont été tués le 18 avril, à Bourasso, où 32 VDP de Nouna (Kossi, Boucle du Mouhoun) ont été tués le 27 mai, les VDP ont accusé les forces armées de les avoir abandonnés.[4]

Dans plusieurs localités, des VDP et une partie de la population ont exigé le départ des responsables militaires ou policiers pour ces raisons. À Gourcy (Nord), début juin, la population et les VDP ont réclamé le départ de plusieurs responsables, dont le commissaire de police de la ville, après le refus des forces armées de récupérer les corps de civils tués par les jihadistes. Il en a été de même à Mané, où les populations ont demandé le départ du commissaire après une attaque jihadiste, début 2023.[5]


[1] Consultation de la base de données Acled.

[2] On observe des défections d’individus ou de petits groupes d’individus à Boulsa, Ouahigouya, Bittou et dans certaines localités de la Boucle du Mouhoun. Entretiens électroniques de Crisis Group, analyste sécuritaire, membre des forces de défense et de sécurité, et ressortissants du Centre-Nord, juillet 2023.

[4] Entretiens électroniques de Crisis Group, acteurs civils et sécuritaires de plusieurs régions, avril-août 2023.

[5] Entretien électronique de Crisis Group, analyste sécuritaire, juillet 2023.

Les tensions entre gendarmes et VDP sont les plus fréquentes.

Les tensions entre gendarmes et VDP sont les plus fréquentes, comme l’attestent des cas observés à Kompienga, Nouna, Boulsa, Gorgadji et Arbinda. Il est difficile d’expliquer avec précision les raisons de ces tensions. Depuis la chute du président Damiba, les gendarmes sont moins actifs dans la lutte anti-terroriste, moins mobiles donc, ce qui accentue les critiques des VDP. La méfiance entre le président Traoré et la gendarmerie peut également rejaillir sur ces tensions puisque les VDP – dans l’ensemble acquis à la cause du président – sont nombreux à soupçonner les gendarmes de rester fidèles à l’ancien régime. À Boulsa, depuis début juillet 2023, des VDP ont accusé le commandant de brigade de la gendarmerie d’être complice des jihadistes.[1] Cet incident fait suite à plusieurs épisodes de tensions où les VDP ont accusé la gendarmerie de ne pas les assister, lors d’une l’attaque le 7 juillet à Kogsablogo (Boulsa) où 16 VDP ont été tués et où la gendarmerie n’aurait pas apporté son appui.[2]

Les relations quotidiennes entre VDP et forces armées sont marquées par des incompréhensions sur le rôle de chacun. Lorsque les forces armées interdisent aux VDP de patrouiller seuls, conformément aux engagements du président Traoré, les VDP critiquent l’inaction des forces armées qu’ils mettent sur le compte de la peur, de la jalousie ou encore de la fidélité de certains officiers à l’ancien régime.[3] Des VDP se plaignent également de la condescendance de certains détachements militaires, des moqueries ou du manque de considération pour les renseignements qu’ils fournissent.[4]

Les pertes humaines enregistrées, les frustrations matérielles couplées à celles liées à leurs relations difficiles avec les forces de défense et de sécurité risquent d’aggraver le mécontentement parmi les VDP. Cela pourrait entraîner à terme des défections encore plus importantes que celles enregistrées en 2023.

Jusqu’ici ces mécontentements visent moins le président Traoré soutenu par une grande partie des VDP que les détachements locaux des forces de sécurité. Toutefois, s’ils perdurent et se multiplient, les mécontentements pourraient finir par viser le chef de l’Etat, comme ce fut le cas avec le président Kaboré, accusé en son temps par les VDP de les avoir abandonnés.


[1] Les VDP ont intercepté des camions qu’ils suspectaient de servir la logistique des jihadistes. Face à leur refus de laisser repartir ces véhicules, plusieurs VDP ont été interpelés par la gendarmerie, provoquant la colère des populations qui s’en sont violemment pris au commandant de brigade. Entretiens électroniques de Crisis Group, analyste sécuritaire, membre des forces de défense et de sécurité, et ressortissants du Centre-Nord, juillet 2023.

[2] Entretien électronique de Crisis Group, analyste sécuritaire burkinabè, septembre 2023.

[3] Des exceptions existent. Par exemple, dans les Hauts-Bassins ou les Cascades, les VDP, issus des groupes dozos qui avaient conservé une large autonomie, se sont arrogé le droit de patrouille. Entretiens électroniques de Crisis Group, acteur de la société civile couvrant l’ouest du pays et ancien membre des forces armées, juillet-août 2023.

[4] Entretiens électroniques de Crisis Group, analyste sécuritaire et ressortissants de plusieurs régions, mai-juin 2023.

III. La défense du territoire au détriment de la cohésion sociale

A. Des biais communautaires qui renforcent les clivages

Les VDP apparaissent comme essentiels pour lutter contre les groupes jihadistes, mais de nombreuses voix les accusent aussi de mettre à mal la cohésion sociale dans les zones où ils opèrent. Parmi ces voix, l’ancien Premier ministre Albert Ouédraogo (janvier-septembre 2022) expliquait en août 2022 : «La composition de ces groupes [VDP] doit refléter la diversité communautaire au niveau de la commune. Parce que nous avons constaté une sorte de communautarisme qui s’est développée au niveau des VDP. Et cela a aussi créé les effets pervers que nous connaissons.»[1] Comme évoqué plus haut, le président Damiba portait lui aussi un regard critique sur les VDP : «malgré leur bravoure, [ils] ont parfois été utilisés pour manipuler à des fins de vengeances sur le plan communautaire, […] ce qui a rompu les équilibres fragiles sur lesquels nos devanciers avaient construit notre pays».[2] Crisis Group s’était également fait l’écho de ce problème dans un rapport paru en 2020.[3]

Le recrutement des VDP n’a jamais respecté les équilibres communautaires locaux et a presque systématiquement exclu les communautés pastorales. Si les Mossi sont majoritaires au sein des VDP à l’échelle nationale, cela reflète la démographie du pays où ils comptent pour environ 50 pour cent de la population. Toutefois, les Peul, qui sont la seconde communauté du pays avec environ 10 pour cent de la population totale, sont largement exclus du recrutement. Cela pose problème, en particulier dans les zones où ils sont majoritaires ou y revendiquent un ancrage historique.

Dans les régions du Sahel et du Centre-Nord, les Mossi et les Fulsé composaient l’essentiel des Koglweogo au détriment des Peul et des Touareg qui en étaient largement exclus. La mise en place des VDP en 2020 a renforcé ce déséquilibre. Dans les provinces de l’Oudalan et du Seno, les VDP mis en place à partir de 2021 sont majoritairement songhaï et gourmantché, très rarement Peul (le cas de la province du Yagha étant une exception).[4] Avec la deuxième vague de VDP, l’enrôlement de nouvelles communautés (Lobi, Bisa) s’est, là encore, fait au détriment de Peul, à l’exception de quelques cas individuels comme à Kampti (Sud-Ouest) par exemple.[5]


[1] «Interview du Premier ministre Albert Ouédraogo : “Nous appelons les Burkinabè à l’union sacrée”», Sidwaya, 24 août 2022.

[2] Message du président du Faso à la nation du 4 septembre 2022, Service d’information du gouvernement du Burkina Faso.

[3] Voir le rapport de Crisis Group, Burkina Faso : sortir de la spirale des violences, op. cit.

[4] Dans les communes de Sebba et de Mansila (toutes deux dans la région du Sahel), les Peul sont nombreux parmi les VDP, ce qui s’explique par l’histoire du Yagha où les Peul ont été associés à la gestion du pouvoir et n’ont pas souffert de marginalisation. Entretiens de Crisis Group, notabilités du Yagha, Ouagadougou, août 2022.

[5] Les Lobi constituent la communauté dominante de la région du Sud-Ouest, les Bisa occupent une position similaire dans la région Centre-Est.

Dans plusieurs localités qui constituent des bastions VDP ... les Peul sont délibérément exclus parce qu’ils sont suspectés de collaborer avec les jihadistes.

Cette exclusion des Peul s’est accentuée à mesure qu’ils ont été accusés par certains VDP de constituer la majorité des groupes jihadistes, poussant certains Koglweogo puis VDP à s’opposer à leur adhésion. Ainsi, dans plusieurs localités qui constituent des bastions VDP, comme Arbinda, Gorgadji ou Djibo au Sahel, Barsalogho dans le Centre-Nord, Titao ou Sollé dans le Nord, les Peul sont délibérément exclus parce qu’ils sont suspectés de collaborer avec les jihadistes.[1]

Les autorités n’ont jamais corrigé ces biais communautaires. En 2017, plusieurs notabilités peul du Sahel avaient souhaité s’organiser en groupes d’autodéfense, mais le président Kaboré avait refusé de soutenir l’initiative.[2] En 2022, le président Damiba avait pourtant émis le souhait d’ouvrir le recrutement des VDP aux Peul, mais sans résultat.[3] Depuis son arrivée au pouvoir, le président Traoré ne s’est pas prononcé sur le sujet publiquement, et aurait surtout demandé aux associations peul d’appeler leurs «frères» au sein des groupes jihadistes à déposer les armes.[4]

Après plusieurs années de rejet et de violences exercées par des Koglweogo ou VDP, de nombreux Peul ont fini par conclure que leur inclusion au sein des VDP était impossible. Certains responsables peul expliquent que leurs communautés se tiennent à l’écart des VDP de peur d’être stigmatisées, isolées ou même menacées en leur sein. Leur adhésion ne suffirait pas à protéger leurs communautés des VDP et elle les exposerait encore davantage aux violences des jihadistes qui ciblent les VDP en priorité.[5] De plus, cette réticence à rejoindre les VDP les rend souvent suspects auprès des autorités. Depuis fin 2022, des candidatures de Peul ont été refusées au motif que ces derniers pourraient tenter d’infiltrer les VDP au profit des jihadistes.[6]

Ce manque d’inclusivité tient également à la mauvaise application des textes réglementaires. La mise en place des VDP est en théorie soumise à l’approbation des populations locales via des «assemblées générales sous l’égide du Comité villageois de développement (CVD) ou du Conseil communal».[7] Ce filtre local devait permettre de s’assurer de la moralité des candidats, mais aussi de veiller à ce que toutes les communautés soient représentées au sein des VDP.[8] Or, ces assemblées générales n’ont jamais été mises en place. Ce qui laisse craindre qu’elles ne soient pas prioritaires aux yeux des autorités. Le rôle du Conseil communal est, quant à lui, remis en question depuis la dissolution des collectivités territoriales le 1er février 2022.[9]

Même sans les assemblées générales, la création des VDP, sous les deux précédents présidents, mobilisait le maire, les conseillers municipaux, voire les chefs coutumiers, de manière concertée avec les chefs de détachements locaux de l’armée et de la gendarmerie.[10] Cette consultation des notabilités locales a largement disparu depuis l’arrivée du président Traoré. Cette absence de consultation est sous doute compréhensible au niveau des VDP nationaux qui ne sont pas recrutés pour servir dans leur localité d’origine, mais elle devient problématique dans le cas des VDP communaux qui, parce qu’ils servent dans leur localité, devraient être acceptés par toutes les notabilités locales. Or, le recrutement est directement géré par la Brigade de veille et de défense patriotique, sur la base des dossiers individuels déposés dans les gouvernorats en région, et parfois avec l’implication d’une notabilité locale qui ne représente pas la diversité communautaire du territoire concerné.[11]


[1] Cette exclusion s’est même opérée en suivant l’exemple de localités voisines. Par exemple, les Koglweogo d’Arbinda, qui ont contribué à la mise en place de ceux de Gorgadji, ont conseillé de reproduire cette politique d’exclusion. Entretiens de Crisis Group, ressortissants des régions du Centre-Nord, de l’Est, du Sahel et du Nord, Ouagadougou, août 2022.

[2] Entretiens de Crisis Group, notabilités peul, Ouagadougou, août 2022 et mars 2023.

[3] «Interview du Premier ministre Albert Ouédraogo : “Nous appelons les Burkinabè à l’union sacrée”», Sidwaya, 24 août 2022.

[4] Entretien électronique de Crisis Group, notabilité peul du Soum, février 2023.

[5] Une notabilité peul résume la situation en ces termes : «quelle place y a-t-il pour les Peul au sein de ces groupes aujourd’hui ? Ils disent que nous sommes jihadistes, se méfient de nous, alors comment peut-on imaginer être en sécurité à leurs côtés ?». Entretien de Crisis Group, notabilité peul, Ouagadougou, mars 2023.

[6] «Interview d’Ismaël Diallo sur le terrorisme et la stigmatisation ethnique au Burkina», Lefaso.net, 16 juin 2023.

[7] Décret du 22 juin 2022 portant statut du VDP. La loi 028-2022, qui abroge la loi 002-2020 du 21 janvier 2020, réaffirme à son article 5 que «le recrutement du VDP pour servir au niveau du village, de la commune, se fait sur approbation des populations locales».

[8] Entretien de Crisis Group, haut responsable burkinabè, Ouagadougou, août 2022.

[9] Décret N°2022-004 portant dissolution des conseils des collectivités territoriales.

[10] Entretiens de Crisis Group, ressortissants des régions du Centre-Nord, de l’Est, du Sahel et du Nord, Ouagadougou, août 2022.

[11] Créée en juin 2022 par le régime Damiba, la Brigade de veille et de défense patriotique avait pour but de coordonner l’action des VDP sur le plan national. Son rôle a été renforcé à l’arrivée du président Traoré. Le fonctionnement de la Brigade de veille et de défense patriotique est régi par l’arrêté interministériel 2023-198 du 19 mai 2023.

Le contrôle du pouvoir politique ou économique local est un enjeu caché de la lutte anti-terroriste.

Les biais communautaires des VDP s’illustrent dans la manière dont ils s’impliquent dans le règlement de problèmes locaux bien éloignés de la lutte contre-insurrectionnelle. Le contrôle du pouvoir politique ou économique local est un enjeu caché de la lutte anti-terroriste. Dans un contexte généralisé de pression autour de l’accès aux ressources (foncier, eau, or, forêts, bétail …), où l’État n’est plus en mesure de jouer son rôle de régulateur, les VDP deviennent un moyen de «solder des comptes» comme le reconnait notamment le fondateur des Koglweogo dans l’Est.[1]

Cette réalité mine la cohésion sociale.[2] Dans le Centre-Nord, le Nord, le Grand Ouest (Boucle du Mouhoun, Hauts Bassins, Sud-Ouest) et la province du Gourma de la région de l’Est, les communautés non mossi perçoivent les VDP (majoritairement mossi) comme un moyen de renforcer l’assise moagha dans des territoires périphériques où ils sont minoritaires.[3] Dans le Sud-Ouest et dans les Hauts-Bassins, des cas d’éviction de terre et d’exécution ont été récemment documentés, opposant des VDP mossi à des VDP de communautés autochtones bobo et lobi.[4] Dans l’Oudalan, les communautés touareg et peul accusent les VDP majoritairement songhaï de servir un agenda communautaire, en particulier à Markoye.[5]

Dans un tel climat de compétition entre communautés, certaines d’entre elles, d’abord réticentes à l’idée de mettre en place des VDP, s’y sont résolues afin d’éviter que des populations allochtones (souvent mossi) le fassent à leur place. C’est notamment le cas au sein de la communauté gourmantché dans la région de l’Est et la province du Séno (Sahel), mais aussi parmi les Dozos de l’ouest du pays.[6]

Enfin, l’économie de guerre mise en place par certains groupes de VDP accentue encore la division communautaire, notamment quand cette économie repose sur le vol de bétail, une ressource à forte valeur économique et culturelle, souvent détenue par les communautés nomades, et convoitée par les jihadistes. Des VDP auraient parfois organisé le vol et le recel d’animaux en complicité avec des éléments des forces armées ou des maires.[7] Le maire de Kelbo (province du Soum) a ainsi été publiquement mis en cause par le Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés, mais la justice n’a jusqu’ici pas établi son implication.[8] Ces pratiques délictueuses non seulement discréditent les pouvoirs publics, mais elles créent de fortes tensions au niveau des communautés, d’autant plus qu’elles restent souvent impunies. Le vol de bétail a décru en 2022, principalement parce qu’il y a moins d’animaux à voler après que les cheptels ont été décimés par les vols, mais ils se poursuivent malgré tout.[9]


[1] «Je sais qu’il y a des gens qui sont devenus des VDP parce que les propriétaires terriens dont ils exploitent les terres leur ont refusé de les exploiter à des fins agricoles pendant la saison pluvieuse». «Interview avec Moussa Thiombiano dit Django», Libreinfo.net, 23 janvier 2023.

[2] Pour une analyse plus détaillée de la dimension communautaire des affrontements entre VDP et jihadistes, voir «Entendre la voix des éleveurs au Sahel Central», Réseau billital maroobé, chargé de représenter des organisations pastorales en Afrique de l’Ouest et au Sahel, septembre 2021.

[3] Dans le Gourma par exemple, les VDP de Nagré, Natiaboani, Tanwalbougou et Koaré sont composés de Mossi originaires du Centre-Nord et ont été installés par le chef Koglweogo de Boulsa. Ils sont accusés de chercher à consolider leur contrôle sur les terres dans ces localités au détriment des Gourmantché et des Peul. Entretiens de Crisis Group, ressortissants des régions du Centre-Nord, de l’Est, du Sahel et du Nord, Ouagadougou, août 2022.

[4] Ces règlements de compte s’inscrivent dans un contexte historique de tensions entre la communauté moagha (singulier de mossi), considérée comme allochtones dans ces régions, et les communautés dites autochtones qui rejettent l’influence croissante, à la fois politique, économique et sécuritaire, des Mossi en particulier. Voir notamment les différents travaux de Peter Hochet, dont Peter Hochet, Luigi Arnaldi di Balme, «La dialectique de l’étranger. La construction des relations contradictoires à l’étranger à la croisée des institutions coutumières et des politiques publiques dans l’ouest du Burkina Faso», Autrepart, N° 64 (2013), p. 55-70.

[5] Cette initiative a même bénéficié de l’impulsion d’un ancien ministre et cadre du MPP d’origine songhaï. Entretiens de Crisis Group, sociologue burkinabè et analyste sécuritaire burkinabè, Ouagadougou, septembre 2021.

[6] Entretiens de Crisis Group, conseiller municipal et responsable associatif de l’Est, Ouagadougou, août 2022. Le fondateur des Koglweogo à l’Est explique que selon lui le principal problème de la formation des VDP est qu’ils sont parfois mis en place par des allochtones. Voir «Interview avec Moussa Thiombiano dit Django», Libreinfo.net, op. cit.

[7] Entretiens de Crisis Group, ressortissants des régions du Centre-Nord, de l’Est, du Sahel et du Nord, Ouagadougou, août 2022.

[8] «Vol des animaux à Kelbo : l’alerte du CISC», WakatSéra, 3 mai 2020

[9] Début juin 2023, par exemple, près de Bilanga (Est), des VDP ont été mis en cause par des observateurs dans l’élimination de deux bergers, la saisie de 300 animaux puis l’élimination de leur propriétaire. Entretien électronique de Crisis Group, ressortissant de l’Est, 9 juin 2023. Cet évènement n’a pas fait l’objet de dénonciations publiques ni d’enquête judiciaire.

B. Les VDP au cœur des violences à base communautaire

Tenues à l’écart des groupes de VDP, les communautés Peul se retrouvent particulièrement exposées aux violences de ces derniers ou des forces armées. Plusieurs récents épisodes de violence envers cette communauté en témoignent.

Quelques mois après la création des VDP en janvier 2020, le Cheikh de la ville de Tanwalbougou (région Est) a conseillé à ses fidèles de rester neutres. Suivant ce conseil, les Peul de Tanwalbougou n’ont pas adhéré aux VDP, pas plus qu’ils n’ont suivi les jihadistes. Mais les forces armées et les VDP, percevant cette neutralité comme une preuve de complicité avec les jihadistes, auraient tué une vingtaine de civils Peul dont des proches du Cheikh.[1] À Nouna (Boucle du Mouhoun), les VDP sont accusés par plusieurs organisations de défense des droits humains d’avoir exécuté plus de 100 Peul, le 30 décembre 2022.[2] À Ouahigouya (Nord), entre novembre 2022 et début mars 2023, au moins 30 Peul ont été enlevés et sont depuis portés disparus.[3] Entre avril et juin 2023, dans les Hauts-Bassins et le Centre-Est, des groupes de Peul conduisant du bétail ou circulant dans des bus ont été sommairement exécutés par des individus armés. Certains observateurs ont mis en cause la responsabilité des VDP.[4]

Les attaques contre des civils ne sont pas uniquement liées à leur appartenance ethnique. Les hommes et les femmes suspectés d’entretenir des relations commerciales ou personnelles avec des jihadistes sont aussi visées par les VDP et les forces armées. Au cours de l’été 2022, les forces armées ou les VDP auraient perpétré des violences dans la province du Bam (Centre-Nord) contre des civils de toute origine confondue, dont l’activité (boucher, vendeur de carburant, etc.) en faisait des logisticiens potentiels des jihadistes.[5] Les mêmes soupçons pesaient sur les victimes du massacre de Tougouri (région du Centre-Nord) en août 2023.[6]

Le lieu de résidence, dès lors qu’il est situé à proximité de zones jihadistes, peut aussi être à l’origine de représailles. En mars 2023 à Karma (Nord), au moins 146 civils non Peul (y compris des femmes et des enfants) ont été exécutés, selon les ressortissants de Karma, par les forces armées, ce que la justice n’a pas encore établi.[7] Les forces armées les auraient accusés de ne pas avoir mis en place de VDP et de ne pas les avoir informés d’une attaque survenue une semaine plus tôt, qui a coûté la vie à plusieurs dizaines de VDP.[8] Si les faits sont confirmés, ils pourraient refléter une stratégie des forces armées de cibler des civils évoluant à proximité de zones d’influence jihadiste et ne voulant pas prendre une position claire dans le conflit, au côté de l’armée et des VDP.

Cette propagation des violences s’explique également en partie par la trajectoire personnelle des nouvelles recrues VDP. Il s’agit souvent d’individus qui nourrissent un fort sentiment de revanche à l’encontre des groupes jihadistes, après avoir été directement exposés à leur violence, qui a souvent entrainé la perte d’un proche ou les a forcés à quitter leur foyer.[9]


[1] Le Cheikh peul de Tanwalbougou avait prêché jusqu’en 2020 la neutralité auprès de ses fidèles. Ce discours avait contribué à limiter l’engagement des membres de sa communauté tant au sein des groupes jihadistes que des VDP. Lors d’une mission conjointe de VDP et de la gendarmerie, plusieurs civils auraient été arrêtés et tués pendant leur détention en mai 2020. Entretiens de Crisis Group, acteurs de la société civile de la région de l’Est, août 2022. Les circonstances exactes et les responsabilités pénales n’ont jamais été clarifiées sur cet événement ; certains agents de police auraient été démis de leurs fonctions. Voir «Burkina : une bavure policière pourrait avoir fait 12 morts», Deutsche Welle, 14 mai 2020.

[2]«Burkina Faso. Les auteurs présumés des tueries de Nouna doivent faire face à la justice», Amnesty International, 10 janvier 2023.

[3] Entretien électronique de Crisis Group, analyste sécuritaire, juin 2023.

[4] Entretien électronique de Crisis Group, acteur de la société civile engagé dans la protection des droits humains, juin 2023.

[5] Entretiens de Crisis Group, ressortissants du Centre-Nord et responsable du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés, Ouagadougou, août 2022.

[6]«Deux ONG dénoncent des exactions commises par l’armée à Tougouri, le gouvernement dément», RFI, 15 août 2023.

[7] Le procureur de Ouahigouya a ouvert une enquête, mais sans suite jusqu’ici. De son côté, le président Traoré à appeler à ne pas faire de «conclusions hâtives» à propos de l’implication de l’armée. Voir «Massacre de Karma : le président burkinabé appelle à éviter des “conclusions hâtives” accusant l’armée», Le Monde, 5 mai 2023.

[8] Les ressortissants de Karma ont attesté que des habitants du village s’étaient inscrits pour devenir VDP. Le massacre est survenu une semaine après l’attaque d’Aoréma, où au moins 34 VDP et six militaires avaient été tués. Les habitants de Karma auraient été accusés d’avoir laissé l’attaque se dérouler, sans prévenir l’armée.

[9] Entretien électronique de Crisis Group, acteur de la société civile engagé dans la protection des droits humains, juin 2023.

Les violences de masse qui auraient impliqué des VDP n’ont jamais été punies.

Les sanctions ont augmenté de façon significative au cours de ces derniers mois, même si les violences de masse qui auraient impliqué des VDP n’ont jamais été punies. Plus d’une centaine de VDP ont été soit soumis par les autorités à des mesures disciplinaires allant jusqu’à leur renvoi, soit condamnés par la justice.[1] Certains ont été emprisonnés, en raison de vol, de revente de leurs équipements, de viol voire d’homicides. À Ouahigouya, courant 2023, cinq VDP ont été condamné à une peine de prison pour avoir assassiné un vieil homme.[2]

Dans de nombreux cas, ces sanctions s’expliquent par le réseau d’influence de parents de la victime ou par le volontarisme des responsables sécuritaires en poste dans les zones concernées.[3] Reste que jusqu’ici, aucun cas de massacre n’a été jugé par la justice. Des enquêtes sont ouvertes, mais aucune ne progresse. Les dispositifs de contrôle de l’action des VDP «par les bénéficiaires» (à savoir les populations) prévus par le décret de juin 2022 n’ont par ailleurs jamais été mis en place.[4]

Le fait que les VDP opèrent désormais aux côtés des forces armées ne garantit en rien un meilleur comportement des VDP vis-à-vis des populations civiles. Depuis longtemps, les forces armées sont elles aussi accusées de cibler les civils soupçonnés de complicité avec les jihadistes. Ces accusations, souvent fondées, ont été portées avant même que les VDP n’occupent une place centrale dans la lutte contre-insurrectionnelle.[5] Entre janvier 2019 et avril 2020, la base de données de l’Acled rapporte que les forces armées auraient tué au moins 500 civils.[6] Elles sont toujours régulièrement accusées par les organisations de défense des droits humains d’exactions et de massacres, dont celui précité de Karma en mars 2023 ou celui de Zaongo (Centre-Nord) le 6 novembre 2023.[7]

Ces violences conduisent à des représailles qui favorisent à la fois le recrutement des VDP, mais aussi celui des groupes jihadistes.[8] Chaque massacre détériore un peu plus la cohésion sociale et entretient un cycle de vengeance par groupes armés interposés. Faute d’initiative de médiation locale, ces conflits communautaires perdurent et s’amplifient.


[1] Le 9 septembre 2023, les contrats de onze VDP ont été résiliés par la Brigade de veille et de défense patriotique après qu’ils ont été accusés d’avoir vendu leur moto acquise dans le cadre du volontariat. Décision n°2023-0703 portant résiliation de contrat d’un VDP. Dans un cas plus récent, en novembre 2023, c’est le tribunal de Banfora qui a jugé et condamné deux VDP de Fandjora (Cascades) pour des actes de torture commis contre des civils. Entretiens électroniques de Crisis Group, analyste sécuritaire et observateurs de la région des Cascades, septembre et novembre 2023.

[2] Entretien électronique de Crisis Group, responsable burkinabè, octobre 2023.

[3] En mars 2023, un VDP a été arrêté dans le Centre-Nord après avoir été incriminé dans l’assassinat d’un jeune homme. Ce cas fait figure d’exception et s’expliquerait par le fait qu’un parent du jeune homme, militaire en fonction, se serait mobilisé pour que justice soit rendue. Entretien électronique de Crisis Group, acteur de la société civile, Ouagadougou, avril 2023.

[4] Le contrôle des activités des VDP par les bénéficiaires est mentionné à l’article 12 du Décret 2022-0368, adopté en conseil des ministres le 22 juin 2022, mais les modalités de ce contrôle sont renvoyées à une directive du ministre chargé de la défense qui n’a jamais été adoptée à ce jour.

[5] «Le jour, nous avons peur de l’armée, et la nuit des jihadistes», Human Rights Watch, 21 mai 2018.

[6] Consultation de la base de données de l’Acled.

[7] Au moins 70 civils (dont des femmes et des enfants) auraient été tués dans le village de Zaongo. Concernant le massacre de Karma, voir « Burkina-Faso : la responsabilité de l’armée pointée dans le massacre de Karma », Amnesty International, 2 mai 2023.

[8] Ibid. Après Yirgou (1er janvier 2019), de nombreuses tueries sont survenues : Kain et Banh (4 février 2019), Titao (10 mai 2019) et Sollé (19 mai 2019), de Barga et Dinguila (8 mars 2020) au Nord, Raogo (22 août 2019) au Centre-Nord, Barani (juin 2019) et Kombori (6 février 2020) dans la Boucle du Mouhoun, Kelbo (29 février 2020) dans le Soum, de Tanwalbougou (11 mai) et Kompienbiga (30 mai 2020) à l’Est, de Silmadji (juillet 2022) et de Tougouri (août 2022) dans le Centre-Nord.

C. Les civils associés aux VDP et très exposés aux violences jihadistes

La mobilisation patriotique encouragée par le président Traoré tend à diviser une large partie des citoyens burkinabè, entre ceux qui soutiennent l’élan de la reconquête du territoire et les autres, fréquemment qualifiés d’«apatrides».[1]

Sommées de prendre parti, les communautés ont perdu la possibilité de rester neutres dans la guerre contre le terrorisme. Auparavant, pour se prémunir d’éventuelles attaques jihadistes, elles pouvaient s’opposer à la mise en place d’unités de VDP pour protéger leurs membres d’éventuelles représailles jihadistes.[2] Aujourd’hui, les communautés ou leurs représentants n’ont plus cette possibilité. Ceux qui demeurent réticents à la mise en place des VDP prennent le risque d’être considérés comme des ennemis de la nation et d’en subir des représailles. À Zaongo (Centre-Nord), le massacre découlerait du refus de ce village de mettre en place des VDP pour éviter d’avoir à fuir comme les villages voisins.[3] À Djibo (Soum), les autorités auraient interpellé à plusieurs reprises un chef coutumier opposé à la formation d’un groupe de VDP.[4] À Fada N’Gourma (Gourma), le 1er avril 2023, les autorités ont arrêté le fondateur des Koglweogo, opposé aux VDP et depuis porté disparu.[5] Malgré tout, dans de rares cas, les communautés s’opposent encore à la mise en place de VDP.[6]

Les communautés ne peuvent plus négocier d’accords locaux avec les jihadistes comme elles le faisaient encore récemment. À Pobé Mengao (Soum), à Thiou (Yatenga), à Titao (Loroum), où de tels processus ont conduit à des accords locaux en 2021, les jihadistes ont négocié et obtenu la démobilisation des VDP.[7] Ces accords locaux étaient certes favorables aux jihadistes du fait du rapport de force en leur faveur, mais ils avaient permis à la population d’être en sécurité et de pouvoir circuler en dehors des villes pour cultiver leurs terres, à la condition de respecter la charia et de ne pas collaborer avec les forces armées.[8] Le régime actuel a mis fin à l’ensemble de ces initiatives de dialogues locaux qui avaient été soutenues, et même étendues à d’autres régions, par l’ancien ministre de la Réconciliation et de la Cohésion sociale sous la présidence de Damiba. Certains acteurs de ces dialogues ont depuis été arrêtés, tandis que d’autres sont encore recherchés, rendant de facto difficile toute possibilité d’ouverture de nouvelles négociations, à l’exception d’une timide tentative début octobre 2023 dans le Yagha.[9]


[1] «Ne vous laissez pas démoraliser par des apatrides qui sont là pour décourager cet élan patriotique», Burkina24.com, 11 janvier 2023.

[2] En 2022, un nombre croissant de localités refusaient la mise en place des VDP : la commune de Yamba à l’Est, des communes de la province de la Gnagna dans l’Est, Nomo, Seno Bani, Seno Hani dans la région du Nord, Yalgo dans le Centre-Nord. Entretiens de Crisis Group, ressortissants des régions du Centre-Nord, de l’Est, du Sahel et du Nord, Ouagadougou, août 2022

[3] L’Union européenne, les Nations unies et les Etats-Unis ont dénoncé ce massacre et ont appelé les autorités à ouvrir une enquête pour faire la lumière sur cet évènement. De son côté, le procureur de Kaya a annoncé l’ouverture d’une enquête et, au terme d’une mission d’investigation conduite sur place le 11 novembre 2023, a affirmé que «les auteurs de ces atrocités demeurent pour le moment inconnus» et que «les investigations se poursuivent pour leur identification». Communiqué du procureur de Kaya, 13 novembre 2023.

[4] Entretien électronique de Crisis Group, acteur de la société civile dans le Soum, mai 2023.

[5] «Au Burkina Faso, l’étrange disparition de Django», Afrique XXI, 13 septembre 2023.

[6] À Bani, l’initiative de créer des VDP, portée par quelques individus, a suscité de vives oppositions qui ont entraîné des rencontres communautaires. L’assassinat de l’un des initiateurs, attribué aux jihadistes a dissuadé – au moins temporairement – les communautés de créer un groupe de volontaires. Entretiens électroniques de Crisis Group, notabilités du Soum et du Séno, juin 2023.

[7] Entretiens de Crisis Group, acteurs ayant facilité ou participé aux négociations, août 2022, Ouagadougou.

[8] Ibid.

[9] Ibid.

Le nombre de civils tués croît sans cesse depuis 2015 et atteint aujourd’hui des records.

Les communautés payent un lourd tribut du fait de cette impossibilité d’être neutre ou de dialoguer avec les jihadistes. Le nombre de civils tués croît sans cesse depuis 2015 et atteint aujourd’hui des records, aggravant d’autant plus les rancœurs et les dynamiques de représailles. Selon les données de l’Acled, sur les sept premiers mois de l’année 2023, au moins 1 527 civils ont été tués, contre 1 414 civils tués pour toute l’année 2022 et 757 en 2021.[1]

Un changement majeur s’est opéré en termes de violences à l’égard des civils : avant l’arrivée du président Traoré, les forces armées, les VDP et l’EI-Sahel tuaient plus de civils que le Jnim. Les cas de civils ciblés massivement par le Jnim étaient plutôt rares. Dans les localités sans VDP, le Jnim s’attaquait en priorité aux forces armées et visait les symboles de la présence de l’Etat (mairie, école) et ses représentants (fonctionnaires, élus). Là où les VDP étaient mis en place, le Jnim a perpétré des massacres, mais les cas restaient rares – Kodyel (Komondjari) en mai 2021 et Solhan (Yagha), un mois plus tard – et n’auraient pas reçu l’approbation de la hiérarchie du groupe.[2] L’EI-Sahel, de son côté, avait d’ores et déjà systématisé cette stratégie, à travers de multiples attaques contre des civils, le cas le plus extrême ayant été Seytenga, visé à deux reprises en juin 2022 et en avril 2023.[3]

En 2023, la majorité de ces civils ont été tués par les jihadistes, en particulier par le Jnim.[4] Avec les recrutements de la seconde vague de VDP, les jihadistes s’en sont pris de façon plus systématique aux civils, même si une première montée des violences jihadistes contre les civils avait déjà été observée à l’époque du président Damiba. Le Jnim cible, en menant des enlèvements ou des exécutions, principalement des individus associés aux VDP, soit par parenté, soit par implication dans les recrutements ou le soutien au mouvement VDP. Il assume, et revendique même, cette stratégie. Peu après l’annonce du recrutement de 50000 VDP, le Jnim a, par exemple, menacé dans une vidéo de cibler les civils qui aideront le pouvoir burkinabè dans sa lutte anti-terroriste.[5]

Les populations civiles souffrent également de la multiplication des blocus par le Jnim. À de rares exceptions près (comme Djibo en 2020), les localités qui sont sous blocus (partiel ou total) sont celles qui ont mis en place des VDP.[6] Ces blocus affectent les civils sur le plan économique et sécuritaire. Privées d’approvisionnement du fait de l’interdiction faite aux commerçants de rentrer dans les localités, les populations vivent des situations d’insécurité alimentaire majeures. Lorsque des habitants s’aventurent à sortir pour trouver de l’eau, du bois ou de la nourriture, ils sont régulièrement enlevés, exécutés ou sont tués par des engins explosifs improvisés. Il s’agit très souvent de femmes.

Les autorités sont confrontées à un dilemme en matière de sécurisation du pays : reconquérir les territoires sans exposer la population. Ce pari n’est pour l’instant pas gagné. L’Etat, via les VDP, semble avoir fait le choix d’engager les communautés dans la guerre au risque de les rendre plus vulnérables, tant d’un point de vue économique que sécuritaire.


[1] Les chiffres sont probablement en deçà de la réalité compte tenu du fait que certains incidents ne sont pas recensés par Acled et qu’Acled utilise parfois des bilans officiels confirmés, à l’instar du massacre de Nouna par exemple (où 28 morts ont été officiellement décomptés alors que les chiffres officieux dépassent 80 morts).

[2] À Kodyel, le chef de village, lui-même tué avec toute sa famille, avait élaboré les listes des recrues. Les attaques de Solhan et Kodyel sont toutes les deux attribuées au Jnim, sans être officiellement revendiquées. Entretiens présentiels et électroniques de Crisis Group, ressortissants de l’Est, 2021-2022.

[3] Le premier massacre de Seytenga, qui fit 86 morts, a été perpétré avant la mise en place officielle des VDP. Le retour de certains VDP de localités voisines à Seytenga a fait courir la rumeur que des VDP allaient y être mis en place, ce qui aurait provoqué l’attaque. Le second massacre a fait au moins 30 morts. Entretiens présentiels et électroniques de Crisis Group, ressortissants du Seno, 2021-2022.

[4] En 2023, le Jnim a été responsable de la mort d’au moins 919 civils contre 608 pour l’EI-Sahel, les VDP et les forces armées. En 2022, le Jnim a été à l’origine de la mort d’au moins 498 civils contre 916 par les trois autres forces armées en présence.

[5] «Les VDP font débat au sein de la société civile», RFI, 3 décembre 2022.

[6] Ces communes sont notamment : Dablo, Bourzanga, Pensa, Pissila, Barsalogho au Centre-Nord ; Titao, Ouindigui, Barga, Koumbri, au Nord ; Arbinda, Markoye, Gorgadji, Kelbo, Djibo, Mansila, au Sahel ; et Madjoari, Kantchari, Diapaga, Kompienga, à l’Est. Entretiens électroniques de Crisis Group, acteurs humanitaires et analystes sécuritaire, avril-juillet 2023.

IV. La marge de manœuvre étroite des partenaires extérieurs

Les partenaires traditionnels sont dans une situation délicate au Burkina Faso. Ils sont conscients des risques que fait courir au pays l’emploi massif de civils en armes et ne veulent donc pas répondre favorablement aux demandes formulées par les autorités pour armer les VDP.[1] Mais ils ne veulent pas abandonner toute coopération sécuritaire, non seulement parce qu’ils ont beaucoup investi dans ce secteur ces dernières années, mais aussi parce qu’ils craignent que le Burkina Faso se tourne vers la Fédération de Russie ou d’autres nouveaux partenaires.


[1] Entretien de Crisis Group, diplomate, Bruxelles, 6 octobre 2023.

A. Un positionnement timide des partenaires traditionnels sur la question des civils en armes

Avant même le développement de la menace jihadiste, des partenaires occidentaux s’intéressaient à la question de la sécurité locale et notamment à la police de proximité au Burkina Faso. Dès 2003, le Burkina Faso a formulé une politique ambitieuse en la matière, à travers la création des Initiatives locales de sécurité (ILS). En 2010, la Stratégie nationale de sécurité intérieure projetait la généralisation des polices de proximité sur l’ensemble du territoire. Plusieurs partenaires dont le Canada et l’ONG suisse Coginta ont très tôt soutenu cette approche.[1]

Toutefois, faute de suivi des autorités sur le terrain, les ILS ont périclité et les populations ont décidé de prendre leur destin en main en créant les Koglweogo, pour les remplacer. En réaction, les autorités ont adopté en 2016 un décret visant à formaliser le rôle des Koglweogo dans le cadre de Structures communautaires locales de sécurité (SCLS), placées sous l’autorité des maires. Le Danemark et le programme des Nations unies pour le développement (PNUD), en particulier, soutenaient les autorités dans la mise en œuvre de ce décret jusqu’à la création des VDP.

Le développement de la menace jihadiste après 2015 a amené un grand nombre d’acteurs internationaux à renforcer leurs investissements dans le domaine de la sécurité et de la défense. S’ils ont focalisé leurs efforts sur la lutte anti-terroriste et contre-insurrectionnelle, ils n’ont pas pour autant abandonné la sécurité locale.


[1] Voir à propos des ILS, la note de Coginta, «Les comités locaux de sécurité au Burkina Faso», non datée.

[Les partenaires occidentaux] sont convaincus que le recrutement ... [des] VDP fragilise le tissu social burkinabè et risque d’augmenter les violences intercommunautaires.

Mais, à partir de 2020, la création des VDP a marqué un changement de cap et freiné les ardeurs de la majorité des partenaires occidentaux. Ces derniers peinent à se positionner vis-à-vis du choix des autorités de s’appuyer sur les VDP, que ce soit parce qu’ils ne soutiennent pas le principe d’armer des civils, ou parce qu’ils sont conscients des risques associés à une politique faisant reposer, de plus en plus, la lutte contre-insurrectionnelle sur des civils armés. Dans l’ensemble, ils sont convaincus que le recrutement de dizaines de milliers de VDP fragilise le tissu social burkinabè et risque d’augmenter les violences intercommunautaires.[1] L’Union européenne (UE) a ainsi cherché à réduire ce risque en soutenant des initiatives de dialogue entre les VDP et les communautés dans plusieurs régions du pays.[2] Elle a par ailleurs tenté de soutenir des formes locales de « co-production » de sécurité entre les communautés et l’état, plus inclusives que les VDP.[3]

Ils s’inquiètent, en outre, des répercussions de ces choix sur la cohésion de l’armée. Un diplomate européen remarque ainsi : «compte tenu de leur nombre, les VDP tendent à devenir le centre de l’appareil de sécurité et l’armée régulière devient sa marge». Inquiets, les partenaires occidentaux n’ont pourtant pas ou peu de moyens d’action sur la question des VDP.

Alors que les partenaires sont réticents à soutenir les VDP, l’Etat burkinabè attend d’eux, au contraire, qu’ils l’aident à développer ces groupes de civils armés. Depuis les coups d’Etat de janvier puis septembre 2022, le Burkina Faso concentre ses demandes sur « le soutien à la guerre » à travers la fourniture d’équipements militaires destinés autant aux forces armées qu’aux VDP.[4] Ces demandes sont impossibles à satisfaire pour des entités ou des pays qui, comme l’UE, ont pour principe «de ne jamais armer les civils».[5] Cette position de principe est difficilement compréhensible pour les autorités burkinabè qui ont donné aux VDP le statut officiel d’«auxiliaires de défense», encadrés par les ministères de la Défense et de la Sécurité.


[1] Entretiens de Crisis Group, diplomate européen et membre du département d’Etat des Etats-Unis, Bruxelles, 5 octobre 2023 ; Washington, 3 novembre 2023.

[2] L’Union européenne a financé de mi-2020 à mi-2022 un projet dans les régions Centre-Nord, Nord et Sahel, mis en œuvre par l’ONG Promédiation, qui a débouché sur des processus de médiation locaux au niveau de six communes. Parmi les accords obtenus, certains prévoyaient une plus grande représentation des communautés Peul au sein de certains VDP communaux. Entretien électronique de Crisis Group, diplomate européen, novembre 2023.

[3] L’Union européenne a notamment financé deux projets jusqu’à fin 2022 (Secucom-UE I & II), portant sur la gestion locale de la sécurité, impliquant les autorités communales, les acteurs sociaux et communautaires, la société civile et plus largement les citoyens. Entretien électronique de Crisis Group, diplomate européen, novembre 2023.

[4] En novembre 2022, le Premier ministre a demandé directement à l’ambassadeur de France d’équiper en armes les VDP nouvellement recrutés. Après la visite de la sous-secrétaire d’Etat américaine, Victoria Nuland, en octobre 2022, la secrétaire d’Etat au développement française, Chrysoula Zacharopoulou, et un haut représentant de l’Union européenne, ont été reçus par le président Traoré en janvier et février 2023. Les autorités burkinabè ont alors adressé des demandes d’équipements militaires, notamment d’armes létales à ces partenaires. Entretien de Crisis Group, fonctionnaire européen, Bruxelles, octobre 2023.

[5] Entretiens de Crisis Group, diplomates européens, Bruxelles, 5 et 6 octobre 2023.

B. Accompagner les nouvelles autorités sans soutenir les VDP : un dilemme pour les partenaires occidentaux

Parallèlement au malaise lié à la création des VDP, la position des partenaires occidentaux envers les autorités du Burkina Faso a également évolué avec les deux putschs de 2022 qui ont grandement compliqué la coopération sécuritaire pour de nombreux Etats ou institutions multilatérales. Beaucoup ont alors suspendu leur coopération ou hésitent à envisager de nouveaux projets pour remplacer ceux qui sont en cours d’achèvement.

La France, qui était, ces dernières années, un partenaire privilégié du Burkina Faso, s’est vue complètement marginalisée et ne joue plus aucun rôle en matière de coopération sécuritaire. Elle n’a plus d’ambassadeur au Burkina Faso, ni d’attaché militaire, ce dernier ayant été expulsé en septembre dernier.[1] Les 400 soldats français de l’opération Sabre ont plié bagage en février 2022, après quinze ans de présence.[2] Ce divorce entre autorités françaises et burkinabè dépasse la coopération sécuritaire. Les principaux médias français, à commencer par Radio France internationale, sont suspendus, et la délivrance de visas pour la France à des citoyens burkinabè a été interrompue entre août et décembre 2023.[3] Il est très peu probable que les relations entre les deux pays s’améliorent dans les mois à venir. La défiance vis-à-vis de Paris sert en effet de carburant politique aux autorités actuelles qui mobilisent leur base autour de l’idée d’une seconde indépendance et de la rupture avec l’ancienne puissance coloniale.

De leur côté, les Etats-Unis ont suspendu leur coopération militaire avec le Burkina Faso après le premier coup d’Etat de janvier 2022. Il a cependant fallu près de trois semaines pour que les Etats-Unis qualifient l’éviction du président Kaboré, le 24 janvier, de coup d’Etat. Ce n’est qu’après le 18 février 2022 que le département d’Etat a suspendu la majeure partie de son aide au Burkina Faso, conformément à une loi stipulant qu’il doit interrompre l’aide extérieure à un pays dont le chef de gouvernement élu a été renversé par l’armée.[4] Cette aide est aujourd’hui réduite au minimum.[5]


[1] «Le Burkina Faso expulse l’attaché militaire français, accusé “d’activités subversives”», Le Monde, 15 septembre 2023.

[2] «Fin de l’opération Sabre : quinze ans de présence militaire française au Burkina Faso», La Croix, 20 février 2023.

[3] «Burkina Faso : la délivrance des visas pour la France reprend au compte-goutte», RFI, 12 octobre 2023.

[4] Bien que les Etats-Unis aient gelé près de 160 millions de dollars d’aide, ils ont utilisé les dispositions de la loi qui leur permettent de faire une exception pour les biens humanitaires essentiels, y compris les médicaments. «U.S. halts nearly $ 160 million aid to Burkina after funding military coup occurred», Reuters, 19 février 2022.

[5] «L’USAID y est présente, mais rien d’autre. L’USAID peut opérer au Burkina parce qu’il ne s’agit pas d’une assistance directe au gouvernement. Il est principalement question de programmes alimentaires, de lutte contre la malaria et de planning familial», résume un membre du département d’Etat. Entretien de Crisis Group, Washington, 3 novembre 2021.

Au Burkina Faso, les Etats-Unis se sont privés d’osciller entre pragmatisme et position de principes comme ils le font au Niger depuis le coup du 26 juillet 2023.

L’aide américaine, y compris militaire, ne reprendra qu’une fois le retour à l’ordre constitutionnel assuré. Ce retour, qui passe par l’organisation d’élections, est pour le moment très incertain. Les plus hautes autorités burkinabè ont, à plusieurs reprises, affirmé que l’organisation d’un scrutin présidentiel dépendait d’un retour à une amélioration significative de la situation sécuritaire.[1] Au Burkina Faso, les Etats-Unis se sont privés d’osciller entre pragmatisme et position de principes comme ils le font au Niger depuis le coup du 26 juillet 2023. Cependant, ils restent actifs diplomatiquement, notamment par l’intermédiaire de leur ambassadrice qui continue à rencontrer régulièrement les autorités actuelles.[2]

Après le coup d’Etat de janvier 2022, l’UE a marqué un arrêt de sa coopération dans le domaine de la sécurité, en particulier le soutien à la gendarmerie, même si tous les projets engagés avant le premier coup d’Etat se sont poursuivis. La position de l’UE reste à ce jour inchangée. Pourtant, des discussions ont rapidement repris entre l’UE et les autorités burkinabè pour relancer cette coopération sécuritaire.[3] Cette position était en grande partie justifiée par l’accord conclu entre le gouvernement de transition du Burkina Faso et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) en vue d’un calendrier électoral de 24 mois et un retour des civils au pouvoir à compter du 1er juillet 2022.[4] Les Européens ne voulaient pas ruiner les efforts consentis ces dernières années pour préserver le pays de l’expansion des groupes jihadistes, sans compter tous les risques que cela engendrerait pour le reste de la région voire pour l’UE elle-même.

L’éventualité d’une reprise de la coopération sécuritaire avec le Burkina Faso a été mise à mal par le second coup d’Etat de septembre 2022. Le nouveau régime a adressé à la délégation de l’UE une lettre deux mois plus tard demandant un appui en armement, notamment des armes automatiques et des hélicoptères.[5] Plutôt que de rejeter brutalement cette demande difficilement acceptable en l’état de la coopération sécuritaire, une mission interservices de l’UE s’est rendue à Ouagadougou fin février 2023 afin de proposer aux autorités une coopération sécuritaire à travers la Facilité Européenne de Paix (FEP). Cette discussion était en cours mais le soutien affiché par le président Traoré aux auteurs du coup d’Etat au Niger le 26 juillet 2023 l’a interrompue.[6]

Alors que les partenaires occidentaux hésitent, réduisent ou suspendent leur coopération avec les nouvelles autorités, celles-ci se tournent de plus en plus vers la Russie. Ainsi, en juillet 2023, au sommet Russie-Afrique, le président Traoré a opéré un rapprochement remarqué avec Moscou, allant jusqu’à déclarer soutenir la guerre contre l’Ukraine. Le 31 août 2023, une visite officielle conduite par la vice-ministre russe de la Défense à Ouagadougou a conclu un rapprochement dans plusieurs domaines stratégiques, dont la coopération militaire. Début novembre 2023, le ministre de la Défense burkinabè Kassoum Coulibaly s’est rendu en Russie pour rencontrer son homologue russe.[7] Peu après des instructeurs russes auraient débarqué dans la capitale, a minima pour soutenir l’effort de guerre des autorités, mais peut-être également pour servir de garde rapprochée aux plus hauts responsables du régime.[8] Dans ce contexte, il se pourrait que la Russie décide de fournir de l’armement à l’armée burkinabè, lequel pourrait profiter aux VDP.

Les partenaires occidentaux suivent avec inquiétude ces développements. Ils ne veulent ni soutenir les options sécuritaires actuelles du régime, en particulier les VDP, ni couper brutalement tous leurs efforts au risque de sacrifier les dividendes de leurs investissements passés et de se voir évincer par de nouveaux concurrents. Ils sont ainsi confrontés à un dilemme dont ils n’arrivent pas jusqu’ici à sortir.


[1] «Burkina : il ne peut y avoir d’élection s’il n’a pas de sécurité (Apollinaire Kyélèm, Premier ministre)», Lefaso.net, 5 octobre 2023.

[2] Entretiens de Crisis Group, diplomates européens, Bruxelles, 11 octobre 2023.

[3] Entretiens de Crisis Group, fonctionnaires européens, Bruxelles, novembre 2023.

[4] « La Cédéao lève les sanctions économiques au Mali, accord pour deux ans de transition au Burkina », France 24, 3 juillet 2022.

[5] Ibid.

[6] Ibid. L’Union européenne peut difficilement entretenir une coopération sécuritaire avec des autorités qui menacent d’utiliser leurs forces contre celles de la Cedeao en cas d’intervention de celle-ci contre les putschistes au Niger. Entretien de Crisis Group, fonctionnaires européens, Bruxelles, novembre 2023.

[7] «Au Burkina Faso, des militaires russes pour protéger Ibrahim Traoré ?», Jeune Afrique, 11 novembre 2023.

[8] Entretiens électroniques de Crisis Group, anciens membres des forces armées burkinabè, septembre 2023.

V. Atténuer les effets contre-productifs du recours aux VDP

Dès 2020, Crisis Group anticipait que la création des VDP allait aggraver les violences et nourrir les attaques jihadistes.[1] Le recours aux VDP est incontestablement l’une des causes majeures de l’aggravation préoccupante des niveaux de violence à l’encontre des civils, observée depuis 2020. Mais les autorités actuelles ont trop misé sur les VDP pour faire machine arrière. Elles n’ont pas d’autre choix que de s’appuyer sur eux pour protéger le territoire, faute de forces armées en nombre suffisant pour le faire. Pour limiter les dégâts causés par le recours aux VDP, les autorités de transition pourraient s’inspirer des mesures suivantes.

Dans l’immédiat, elles pourraient d’abord réduire le rythme des recrutements, renforcer l’intégration des VDP les mieux formés dans l’armée, tout en améliorant les mécanismes de contrôle de l’armée afin de mieux protéger les civils, et, à plus long terme, penser les formes que pourra prendre la démobilisation des autres recrues. En parallèle, les autorités devraient repenser l’utilisation qu’elles font des forces armées régulières (incluant les forces de sécurité intérieures) qui restent le meilleur moyen dont dispose un Etat pour sécuriser leur territoire. Elles devraient enfin veiller à renforcer le contrôle sur les VDP afin de réduire des abus qui s’avèrent contreproductifs pour la cohésion sociale comme pour la stabilité du pays.


[1] Voir le rapport de Crisis Group, Burkina Faso : sortir de la spirale des violences, op. cit.

A. Trouver le bon équilibre sécuritaire

Le recrutement massif des VDP, qui pourraient à terme être près de deux fois plus nombreux que les forces de défense et de sécurité, représente un risque pour la cohésion de ces dernières et pour la stabilité de l’Etat.[1] Les autorités devraient ralentir le rythme des recrutements et reconsidérer l’objectif d’atteindre 100000 VDP, annoncé par le Premier ministre en mai 2023, à l’aune des contraintes budgétaires actuelles, des crispations observées localement avec une partie des forces armées et des effets négatifs de leur engagement sur la cohésion sociale. Afin de compenser la baisse des recrutements de VDP sans affecter la sécurité du pays, les autorités devraient mieux utiliser les forces armées disponibles. Ces ressources humaines déjà couvertes par le budget de l’Etat n’engendrent, en effet, aucun coût supplémentaire.

Par ailleurs, la gendarmerie et la police restent encore trop en retrait de la lutte contre les groupes jihadistes, en dépit de la mobilisation supposée de toutes les forces de défense et de sécurité. La gendarmerie a montré, de 2015 à 2019, le rôle central qu’elle pouvait jouer en matière de lutte contre-insurrectionnelle, en dépit des violations des droits humains dont elle se serait rendue coupable et qui ont alimenté les insurrections jihadistes.[2] Or, la méfiance entre le pouvoir actuel et la gendarmerie affecte le plein engagement de ce corps censé être davantage au contact des populations. Là aussi, un dialogue plus franc avec la gendarmerie permettrait d’améliorer les choses. Les efforts de mobilisation de la police dans la lutte contre-insurrectionnelle à travers la multiplication des Gumi depuis le début de l’année devraient être poursuivis pour que les effectifs de ce corps – estimés à environ 20000 personnes– soient davantage mis à contribution dans la guerre actuelle.[3]


[1] Les effectifs des forces de défense et de sécurité ne sont pas connus précisément, mais peuvent être estimés à 60000 : 30000 au sein de l’armée, 20000 au sein de la police, et 10000 gendarmes.

[2] Voir le rapport de Crisis Group, Burkina Faso : sortir de la spirale des violences, op. cit.

[3] Entretiens électroniques de Crisis Group, membres de la police burkinabè, avril et mai 2023.

Les VDP, une fois intégrés, seraient potentiellement moins liés aux conflits inter-communautaires locaux à l’origine de nombreuses violences contre les civils.

En parallèle, les autorités devraient continuer à privilégier l’intégration des VDP les mieux formés au sein de l’armée qui, de fait, prévoit d’importants volumes de recrutements dans les années à venir. Cela permettrait à minima de renforcer la formation et l’encadrement des VDP si elle se fait sur la base d’un système de vérification des parcours scrupuleux, afin de ne pas recruter des VDP ayant commis des crimes graves (exécutions sommaires, torture, violences sexuelles, etc). Déployés sur l’ensemble du territoire, les VDP, une fois intégrés, seraient potentiellement moins liés aux conflits intercommunautaires locaux à l’origine de nombreuses violences contre les civils. Toutefois, ce recrutement ne peut constituer un remède miracle, puisque l’armée elle-même est accusée de violences contre les civils. Les effets positifs d’une telle intégration dépendent donc étroitement d’un changement de stratégie des forces armées visant avant tout à ne pas cibler les civils, en particulier ceux évoluant à proximité des zones jihadistes.

Cette intégration permettrait par ailleurs de répondre au besoin d’augmentation des effectifs des forces armées tout en recrutant du personnel ayant déjà une expérience opérationnelle sur le terrain. Cela permettrait également de réduire le nombre de VDP et donc de rééquilibrer les rapports déjà tendus entre VDP et forces armées. En revanche, moins connectés aux enjeux locaux, les VDP devenus militaires offriraient moins d’avantages en termes de connaissance fine du terrain s’ils sont déployés en dehors de leur zone d’origine. Beaucoup plus coûteux, ils pèseront également davantage sur le budget de l’Etat, lequel est déjà grevé par les dépenses sécuritaires.

Ces intégrations au sein de l’armée pourraient se faire pour certaines sur la base de contrats à durée déterminée renouvelables afin que le pays ne se retrouve pas avec une armée pléthorique si la situation sécuritaire venait à s’améliorer dans cinq ou dix ans. Les autorités pourraient dans le même temps entamer une réflexion pour identifier avec ces contractuels de l’armée des solutions de formation et de reconversion au terme de leur contrat. Une autre solution de reconversion serait la transformation des VDP en Structures communautaires locales de sécurité (SCLS), police de proximité encadrée par la police ou la gendarmerie qui, selon le décret de 2016, «assure un rôle de veille sécuritaire, de renseignement et d’interpellation en cas de flagrant délit». Leurs membres ne sont en revanche pas armés, sauf pour les individus qui disposent d’un permis de port d’armes.

Les autorités devraient également promouvoir le recrutement de VDP par la gendarmerie (en dépit des tensions actuelles et au regard de la nomination d’un nouveau chef de la gendarmerie), la police ou même les eaux et forêts, en s’adaptant aux besoins spécifiques exprimés par chaque corps. Les VDP communaux auraient, par exemple, vocation à rejoindre la police qui opère davantage dans les villes que dans les zones rurales et qui, en dehors des Gumi, n’est pas en première ligne dans la lutte contre le jihadisme. Dans l’optique d’une sortie de crise, des initiatives locales de sécurité de type Koglweogo ou supplétifs de la police, qui ont fait leurs preuves contre la criminalité, pourraient être nécessaires pour lutter contre des groupes résiduels qui, dans ce genre de cas, terminent leur carrière dans le banditisme, aidés par une forte dissémination des armes de guerre ou de plus petit calibre.

B. Éviter que les VDP ne détériorent la cohésion sociale

Une partie des VDP, tout comme une partie des forces armées, est régulièrement accusée de violences contre les populations civiles, dans un contexte d’enquêtes et de poursuites en justice insuffisantes. Les autorités ne devraient pas tolérer cette situation et devraient, au contraire, se convaincre que la guerre ne peut pas être gagnée en sacrifiant une partie des populations et que tout acte de violences à l’égard des civils fait le jeu des groupes jihadistes.

Des gestes concrets sont nécessaires pour rassurer les populations qui se sentent exclues et visées par les VDP et plus largement par le régime. Le procureur militaire pourrait, notamment, annoncer l’ouverture d’une enquête sur certains massacres de civils qui impliqueraient des VDP et/ou l’armée comme celui de Nouna du 31 décembre 2022 et procéder, s’il y a lieu, à des interpellations et à des mises en examen. Cela enverrait un signal fort aux entités et individus potentiellement responsables de ces crimes sur l’importance de rendre des comptes, mais aussi aux femmes et aux hommes victimes de violences qui se sentiront mieux soutenues par les autorités.

Les autorités devraient, à minima, renforcer les dispositifs d’encadrement de l’action des VDP. Tout d’abord, elles devraient créer, comme elles s’y sont engagées, les dispositifs de contrôle à base communautaire prévus par le décret de juin 2022.[1] Pour rendre ces mécanismes impartiaux, des personnes relais issues des organisations de défense des droits humains ou des personnalités localement engagées sur ce sujet devraient être systématiquement associées aux côtés d’autres représentants locaux.


[1] «Recrutement massif de VDP : la CNDH veut comprendre leur encadrement et leur fonctionnement», CNDH, 30 décembre 2022.

Les autorités devraient ... s’assurer que les recrutements [des VDP], toujours en cours, ne se fassent pas au détriment de la cohésion sociale.

Les autorités devraient également s’assurer que les recrutements, toujours en cours, ne se fassent pas au détriment de la cohésion sociale. Ces recrutements devraient être soumis à l’approbation des représentants des communautés locales, censés être intégrés dans les « assemblées villageoises », afin que les VDP bénéficient d’un soutien inclusif de la population qu’ils sont censés protéger. Les autorités devraient veiller à assurer un minimum d’équilibre communautaire dans le cadre des recrutements à venir, notamment en s’assurant que les candidats peul soient considérés au même titre que les autres. Même si les Peul sont de plus en plus réticents à l’idée de rejoindre les VDP, il reste encore des candidats potentiels.

Les autorités devraient également déployer des efforts de prévention des violences à base communautaire à l’échelle communale, pour permettre de renouer le contact avec les communautés qui sont exclues ou refusent de rejoindre les VDP, en particulier les communautés peul. Elles pourraient promouvoir la mise en place d’espaces locaux de dialogue inclusifs, dans lesquels l’ensemble des communautés seraient représentées. La crédibilité de ces espaces dépend avant toute chose du choix des participants qui, dans l’idéal, devraient relever des communautés elles-mêmes. Pour garantir leur représentativité, des organisations de défense des droits humains reconnues nationalement comme le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples, le Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés ou Tabital Pulaku, devraient systématiquement faire partie de ces comités.

Afin de recréer du lien social, les populations peul déplacées devraient également être associées aux initiatives communautaires impliquant la coalition forces armées/VDP à l’instar de l’Initiative «Production de défense de la patrie contre l’insécurité alimentaire» qui vise à mobiliser les militaires et VDP dans la sécurisation de la production agricole.[1]

Dans les zones où les groupes jihadistes sont encore peu actifs, comme certaines provinces du Centre-Ouest, du Centre-Sud et du Sud-Ouest, ainsi qu’au plateau central, une approche préventive est utile pour sauvegarder la cohésion sociale. Dans ces zones, les autorités devraient faire respecter le principe de «l’approbation des populations locales», prévu comme une condition préalable à la mise en place des VDP par la loi de décembre 2022. Cela pourrait passer par la mise en place des «assemblées villageoises» prévues par le décret de juin 2022, chargées d’approuver ou non la mise en place des VDP. Si elles refusent, ce choix devrait être respecté au profit de la cohésion sociale, étant donné qu’il n’y a pas encore de violence jihadiste. Si elles l’approuvent, mais que certaines communautés refusent d’en être membres (les Peul en particulier), les assemblées accompagnées des autorités devraient sensibiliser les VDP pour qu’ils comprennent et respectent ce choix sans que cela ne contribue à la stigmatisation des communautés concernées.


[1] Compte rendu du Conseil des ministres du mercredi 31 mai 2023.

C. Identifier un espace de coopération pour les partenaires internationaux

Le Burkina Faso a une longue tradition d’engagement avec les partenaires extérieurs régionaux comme internationaux. Face à la montée des violences et de l’insécurité, ils partagent un intérêt commun à éviter l’aggravation des violences et de l’insécurité, mais divergent sur les facteurs y contribuant. Les partenaires extérieurs, en particulier occidentaux, devraient renforcer leur coopération pour défendre des positions communes fondées sur le risque que la poursuite du recours aux VDP et des violences trop régulières contre les populations civiles n’aggravent l’insécurité, plus qu’elles ne la résolvent.

Les partenaires occidentaux qui veulent continuer à entretenir des relations avec les autorités burkinabè, dont l’UE, devraient se montrer disponibles pour renforcer le contrôle interne et externe sur les VDP, sans participer à leur équipement. Le risque est que les autorités n’abandonnent pas leurs précédentes demandes d’armement. Les partenaires devraient malgré tout continuer à tendre la main pour aider sur les aspects de coordination et de contrôle de l’action des VDP, en espérant que les autorités finissent par prendre conscience de leur importance.

En matière de cohésion sociale, les partenaires extérieurs – en particulier l’UE – pourraient soutenir des mécanismes permettant de mieux contrôler l’action des VDP sans les soutenir opérationnellement. Il s’agirait là d’une contribution essentielle en vue de réduire l’exposition des civils aux abus de certains éléments des VDP. En particulier, les partenaires pourraient proposer aux autorités d’appuyer la mise en place et le fonctionnement des assemblées villageoises ainsi que le mécanisme de contrôle par les bénéficiaires civils, deux mécanismes prévus par les textes. En appui aux structures gouvernementales et en accord avec elles, l’UE pourrait également jouer un rôle dans l’appui à la reconversion des VDP dans la vie civile.

Les partenaires [internationaux] devraient renforcer leurs soutiens aux organisations de défense des droits humains.

Dans tous les cas, les partenaires devraient renforcer leurs soutiens aux organisations de défense des droits humains pour que leurs activités puissent couvrir l’ensemble des communes où les VDP opèrent. Ces organisations, en interpelant les autorités locales dès lors que des civils disparaissent ou sont victimes de violences, jouent un rôle essentiel qui a permis de sauver des vies ces derniers mois.[1] Il faut toutefois veiller à ce qu’un tel appui ne mette pas ces organisations en danger compte tenu de la restriction des libertés qui affecte actuellement le pays.

Les positions de plus en plus dures du régime actuel incitent de nombreux partenaires à réduire la coopération à un niveau minimal, en particulier dans le domaine sécuritaire. C’est particulièrement vrai au sein de l’UE même si, parallèlement, des Etats membres craignent aussi que cette réduction de la coopération ne bénéficie à la Russie, perçue comme un rival sérieux dont les appétits régionaux ont été confirmés lors du sommet Russie-Afrique de juillet 2023. Au-delà des rivalités géopolitiques, le vrai risque pour la région, comme pour les partenaires, est celui d’un effondrement du pays, qui aurait des répercussions sur ses voisins et en particulier sur les Etats côtiers du sud. Si la coopération sécuritaire ne peut se faire à tout prix et que les possibilités se sont considérablement réduites du fait des effets à double tranchant du recours aux VDP, le dialogue et la recherche de compromis devraient être préférés à l’isolement ou à la rupture.

Les partenaires internationaux devraient, enfin, chercher à mieux coordonner leurs positions vis-à-vis des autorités, en particulier afin de faire front commun pour encourager un contrôle renforcé et la conduite d’enquêtes indépendantes en cas d’accusation de crimes et délits perpétrés par les VDP ou les forces armées. Les Etats-Unis, dont le poids politique reste très important et exempt d’un passé colonial dans la région, pourraient tenir un rôle de chef de file d’une telle coalition de partenaires pour réagir avec davantage de vigueur et tenter d’enrayer les trop nombreux cas dans lesquels la lumière n’est pas faite sur les exactions présumées des VDP dans le pays.


[1] Entretien électronique de Crisis Group, acteur de la société civile dans la région nord, juillet 2023.

VI. Conclusion

Les VDP sont désormais un pilier de la lutte anti-jihadiste au Burkina Faso. Leur présence engendre pourtant des risques majeurs pour l’avenir du pays. Le recrutement annoncé d’un grand nombre de nouveaux VDP – entre 50000 et 100000 – va rendre le contrôle de ces groupes de plus en plus compliqué. Beaucoup les accusent déjà d’être impliqués dans un nombre important de crimes et de délits à l’encontre des civils.

Il n’y a pourtant pas de retour en arrière possible à court terme. La suppression immédiate des VDP est irréaliste, voire dangereuse, vue la place qu’ils occupent dans le dispositif sécuritaire. Les localités sous blocus et beaucoup d’autres ne résisteraient pas longtemps aux attaques jihadistes sans eux.

Les VDP ne contribueront de manière positive à la lutte contre-insurrectionnelle que si les autorités mettent en place des mesures pour mieux les contrôler et permettant une meilleure protection des civils lors des opérations sécuritaires. Les autorités prendront certes un risque en étendant un tel niveau de contrôle à des groupes dont le soutien est un des garants de la stabilité de l’actuel régime, mais l’enjeu plus large de la stabilisation du pays est sans aucun doute à ce prix.

Bruxelles/Dakar, 15 décembre 2023

Appendix A : Carte du Burkina Faso

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