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Guinée: Incertitudes autour d’une fin de règne

Les rumeurs persistantes sur l’état de santé du président et sur la fin prochaine du régime plongent actuellement la Guinée dans un état d’incertitude préoccupant. Le gouvernement et la classe politique guinéens, en collaboration avec la communauté internationale, devra prendre des mesures destinées à assurer la stabilité du pays à moyen terme s’il ne veut pas subir le même sort que ses voisins frappés par des gueres intestines.

Synthèse

Les rumeurs persistantes sur l’état de santé du président et sur la fin prochaine du régime plongent actuellement la Guinée dans un état d’incertitude préoccupant. Le gouvernement et la classe politique guinéens, en collaboration avec la communauté internationale, devra prendre des mesures destinées à assurer la stabilité du pays à moyen terme s’il ne veut pas subir le même sort que ses voisins frappés par des gueres intestines. Alors qu’aucun observateur de la politique guinéenne ne se fait d’illusions sur les résultats de l’élection présidentielle du 21 décembre, tout reste à faire pour assurer d’une part une transition politique pacifique après l’éventuelle disparition du Président Lansana Conté et pour garantir d’autre part le passage d’un régime autoritaire à un gouvernement civil fondé, pour la première fois dans la vie politique de la République guinéenne, sur des élections véritablement démocratiques et transparentes.

La situation est d’autant plus inquiétante que le pays est confronté à une crise sociale et économique dont la population est aujourd’hui la première victime. La crise actuelle nourrit un vif mécontentement populaire que le pouvoir en place continue d’étouffer usant alternativement de l’intimidation, de la violence et de la désignation de boucs émissaires. L’apathie apparente du peuple guinéen, liée à l’histoire spécifique de la violence policière en Guinée, ne doit pas faire illusion. Plus le mécontentement croissant de la population est étouffé, plus il risque d’emprunter, dans un proche avenir, des formes d’expression plus radicales.

Dans un contexte régional particulièrement volatil, on s’inquiète de voir la Guinée connaître, à son tour, la guerre civile. Une telle dérive est d’autant plus à craindre que la Guinée s’est impliquée de façon dangereuse dans les conflits de la Mano River en soutenant notamment la rebéllion libérienne. Le présent rapport met en évidence les risques de dérives violentes qui menacent la Guinée du fait de son implication dans le conflit libérien et formule des recommandations afin de les réduire.

Les élections présidentielles du 21 décembre, dont l’issue ne fait presque plus aucun doute, ne devraient rien changer aux problèmes de fond que traverse le pays. Le processus politique reste bloqué par la manipulation du système électoral et par les divisions et faiblesses de l’opposition légale. Toutefois, l’absence de successeur officiel en cas de disparition du président laisse la porte ouverte aux appétits politiques. Les différents clans qui composent l’entourage présidentiel ont certes intérêt à assurer la continuité du régime pour préserver leurs privilèges. Cependant, les querelles qui les opposent constituent un élément d’instabilité et d’incertitude important. Dans ce contexte, de nombreux observateurs estiment que seule l’armée est en mesure d’assurer une transition politique en préservant la paix civile.

Toute la question reste de savoir si l’armée saura taire ses différends internes et s’accorder sur un candidat à la transition pour sauver son unité et ses privilèges. Un désaccord sur le nom du successeur de Conté pourrait faire éclater au grand jour les divisions générationnelles et ethniques existant au sein de l’armée. La crise de succession pourrait dès lors se révéler plus violente et plus durable que celle qui avait marquée la fin de l’ère Sékou Touré, premier président de la Guinée mort en 1984. Par ailleurs, les rapports ambigus qui unissent le pouvoir et l'armée constituent un autre élément d’incertitude. Dans le contexte d’un régime fragilisé par la maladie du président et le mécontentement populaire, des tentatives de coup d’Etat sont susceptibles de se produire même si l’armée demeure sous surveillance.

Les risques de dérive violente en Guinée ne sont pas seulement liés à une éventuelle crise de succession en capitale. Ils sont également liés à la propagation des violences armées que l’on observe depuis plusieurs années dans la région du fleuve Mano et plus précisément à la forte implication du Président Conté dans le conflit libérien. Cette implication aux côtés des rebelles libériens a contribué à nourrir les tensions entre les communautés qui peuplent la région forestière, une région frontalière avec le Libéria, le Sierra Léone et la Côte d’Ivoire. Par ailleurs, l’intense circulation des armes et des combattants irréguliers dans cette région constitue l’un des principaux facteurs d’inquiétude dans le pays. Ces combattants aux allégeances aléatoires pourraient demain servir les intérêts d’entrepreneurs politico-militaires désireux de semer le désordre et/ou tenter de prendre le pouvoir par les armes.

Il ne faut cependant pas négliger les éléments de stabilité qui distinguent la Guinée de ses voisins: restructuration des forces de sécurité, absence des médias de la haine, force du sentiment d’appartenance nationale – qui ne dissipe cependant pas les rancoeurs interethniques – et la volonté, parfois ambiguë, des puissances internationales de préserver la stabilité en Guinée.

Quoi qu’il en soit, la Guinée, à l’instar de la sous-région, semble aujourd’hui arrivée à un tournant décisif. Des risques de déstabilisation localisée à la crise de succession généralisée, la succession du régime de Conté s’inscrit dans un contexte chargé d’incertitudes. ICG attire l’attention sur ces risques en soulignant une fois de plus que les violences armées continueront d’agiter la région du fleuve Mano tant qu’une solution régionale incluant l’ensemble des pays concernés ne sera pas élaborée.

Freetown/Bruxelles, 19 décembre 2003

Executive Summary

Rumours about the president’s health and the prospective early end of his time in office have placed Guinea in a state of alarming uncertainty. Its government and its political elite must now work closely with the international community in order to stabilise the country in the mid-term if it is not to risk the same fate as its West African neighbours and drift into civil war. While no one doubts that President Lansana Conté will be reelected on 21 December, it is high time for Guinea to prepare for a political transition through its first transparent and democratic elections as soon as Conté leaves office.

The population is suffering heavily from the social and economic crisis, and the leadership continues to suppress critical voices through intimidation and state violence. Despite a heritage of voter apathy closely related to the history of police violence in the country, public passivity should no longer be taken as given. The more the government suppresses popular discontent, the greater the risk of radicalisation.

Guinea and its international partners have to keep the country out of West Africa’s volatile regional crisis in order to minimise the danger of a possible civil war. The present report warns of the danger of a drift toward violence, including because of the government’s involvement in the Liberian conflict, and provides recommendations to reduce these risks.

The presidential elections on 21 December – which seem certain to lead to Conté’s re-election – will not solve the country’s deep-rooted problems. Due to the manipulation of the electoral system as well as the legal opposition’s weaknesses and its internal divisions, the political process remains deadlocked. The lack of an official successor to Conté opens the door to a range of ambitions. While the various clans close to the president’s entourage are keen to ensure the continuity of the regime in order to preserve their privileges, their internal quarrels constitute an important element of instability. Many observers feel that only the armed forces will be able to guarantee a political transition and to maintain civil order.

The question, however, is whether the military can master its internal differences and agree on a transitional candidate. A disagreement about Conté’s successor could exacerbate its generational and ethnic divisions. The succession crisis could then turn out to be more violent and more durable than the one sparked in 1984 when Guinea’s first president, Sékou Touré, died. The ambiguous relations between the leadership and the military are another element of uncertainty. Even if the army is kept under careful watch, the president’s illness and popular discontent have weakened the government, and there is danger of a coup d’état.

The risk of violence goes beyond a possible succession crisis in the capital. It is connected as well to the spread of fighting in the Mano River region over recent years and more particularly to President Conté’s considerable involvement in the Liberian conflict. His championing of the Liberian rebels has contributed to rising tensions between the communities of the Forestière region, an area bordering Liberia, Sierra Leone and Côte d’Ivoire. The large number of weapons and irregular combatants circulating in this region is one of the principal elements of concern. These armed groups with their unpredictable allegiances could serve the interests of politico-military elites who seek to create disorder and or to take power by force.

It does need to be kept in mind that Guinea has stabilising factors that distinguish it from its neighbours. These include the restructuring of the security forces, the absence of hate media and a sense of nationalism, which, however, does not dissipate interethnic resentment. Key international actors have demonstrated a political will, though sometimes in ambiguous ways, to preserve stability in the country.

Guinea, like the entire sub-region, seems to have reached a turning point. At risk from both local destabilisation and the nation-wide implications of the succession crisis, the issue of the succession to the current government is highly uncertain. ICG draws attention to these risks and reiterates that armed violence will continue to affect the Mano River region until there is a regional solution.

Freetown/Brussels, 19 December 2003

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