Report 15 / Middle East & North Africa 3 minutes

L’Algérie: Agitation et Impasse en Kabylie

À la fin du mois d’avril 2001, à la suite de provocations morte lles d’éléments  de  la gendarmerie nationale algérienne, des émeutes prolongées et meurtrières ont éclaté en Kabylie.

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Synthèse

À la fin du mois d’avril 2001, à la suite de provocations morte lles d’éléments  de  la gendarmerie nationale algérienne, des émeutes prolongées et meurtrières ont éclaté en Kabylie. Le fait que l’agitation  du  Printemps  Noir  de  Kabylie ne se soit pas encore dissipée reflète l’incapacité du système politique, au niveau national, à adopter des réformes qui comblent le  déficit  de  la  représentation démocratique. Ni le pouvoir, ni les partis politiques kabyles et ni les ainsi dénommées «Coordinations», qui ont pris la tête du mouvement de contestation dans la  région,  n’ont  jus qu’à  présent proposé de formule sérieuse pour sortir de l’impasse. L’invitation récente  lancée  au  mouvement de contestation par le nouveau chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, d’engager un dialogue concernant sa plate-forme est un progrès encourageant, même s’il vient  tardivement.  Toutefois, il en faudra plus pour  permettre  au système politique algérien de résoudre ce  qui  est  bien plus un problème national que de simples troubles locaux ou ethniques, comme on les décrit souvent à tort.

Cette agitation a été significative à au moins trois égards: en tant que conflit local qui a entraîné des coûts humains et matériels considérables en tant que terrain de manoeuvre du pouvoir et des forces de l’opposition en vue des élections présidentielles qui doivent avoir lieu avant le 15 avril 2004; et surtout en tant que reflet de  problèmes  nationaux plus généraux.

Ce conflit est porteur de  dangers pour l’Algérie  dans son ensemble, dans la mesure où il aggrave l’instabilité du régime et remet en cause le rapport de la Kabylie à la nation. De manière plus générale, il reflète le problème fondamental qui afflige l’Algérie depuis son indépendance: l’absence d’institutions politiques adéquates permettant la représentation régulière des intérêts et l’expression pacifique des griefs.

Depuis l’entrée en fonction du président Abdelaziz Bouteflika en avril 1999, le gouvernement a réussi en partie à réduire la rébellion islamiste, à rétablir la position de l’Algérie au niveau international et à redresser les finances de l’État. Toutefois, d’autres problèmes ont pris le devant de  la  scène, dont le plus important  est la hogra (littéralement «mépris»), terme par lequel les Algériens désignent l’arbitraire des décisions officielles, les  abus d’autorité qui se produisent à tous les niveaux, et le fait que les agents de l’État n’ont pas de comptes à rendre et peuvent violer la loi et les droits des  citoyens avec impunité. Le mécontentement provoqué par ce problème s’est exprimé avec une vigueur sans parallèle en  Kabylie.

En réaction aux émeutes qui ont éclaté à la fin du mois d’avril 2001, un nouveau mouvement est né, rassemblant les «Coordinations» de chacune des six wilayas (départements) de la région kabyle. En s’efforçant de canaliser la colère de la jeunesse kabyle dans une forme de protestation politique non violente, ce mouvement a fait preuve  au départ d’une aptitude remarquable à mobiliser les citoyens et a éclipsé les partis politiques dela région. Depuis, il domine la vie politique en Kabylie et fait l’objet de controverses intenses.

Pour certains, l’agitation a pour cause principale le conflit entre berbéristes et arabistes concernant l’identité culturelle de la Kabylie et donc de  l’Algérie. Pour d’autres, ce mouvement  repose  sur des structures «tribales» (‘aarch) et représente une régression vers des sentiments et formes d’action politique archaïques. La réalité est plus complexe: la question identitaire n’est que l’une de celles abordées par le mouvement. Ses autres revendications, qui sont essentiellement démocratiques, ont occupé pour lui une place plus importante. Par  ailleurs, bien que l’accusation de «tribalisme» soit largement dénuée de fondement, le mouvement s’est appuyé sur les traditions locales de la Kabylie d’une manière qui a gravement entravé ses efforts pour exprimer les aspirations modernistes de sa population.

Les faiblesses du mouvement sont en partie responsables de son incapacité à s’étendre en dehors des limites de la Kabylie et à atteindre ses objectifs principaux: le châtiment des  responsables des mesures de répression excessives infligées aux manifestants durant le Printemps Noir, le retrait de la gendarmerie de la région et la reconnaissance de   la langue berbère, le tamazight, en tant que langue officielle, sans mentionner des revendications plus radicales en faveur de la démocratisation rapide de l’Algérie.

Débordés  par  les  Coordinations,  les  partis politiques kabyles ont réagi en projetant leur propre rivalités politiques sur le mouvement. Le pouvoir, paralysé par les divisions internes et la résistance au changement, n’est pas parvenu à réagir de manière efficace aux revendications légitimes, contribuant ainsi à la dégénérescence du mouvement qui, par son radicalisme intolérant et irréaliste, s’est aliéné la sympathie du public.

En conséquence, l’agitation  n’a  suscité  aucun progrès en faveur de la démocratie et de l’État de  droit et le problème de la hogra, qui a pour origine l’absence d’une représentation politique efficace, persiste. Les Algériens n’exercent presque aucune influence sur la coalition des élites militaires et technocratiques au pouvoir, contre lesquelles ils ne peuvent  se  défendre, et n’ont de citoyen que le nom. Cette situation est défavorable à l’État lui- même, car elle favorise le mécontentement et la désaffection de la population, qui s’expriment par une tendance aux émeutes, et empêche l’exercice efficace du gouvernement. Dans le cas de la Kabylie, en outre, étant donné la question identitaire, elle a mis l’unité nationale à rude épreuve.

Le Caire/Bruxelles, 10 juin 2003

Executive Summary

In late April 2001, lethal provocations by elements of Algeria’s National Gendarmerie triggered protracted and deadly rioting in Kabylia. That the unrest from Kabylia’s Black Spring continues to this day reflects the political system’s nation-wide failure to adopt reforms that address its deficit of democratic representation. Neither the regime, nor the Kabyle political parties nor the so-called “Coordinations” that lead the protest movement in the region has to date proposed a serious formula for ending the impasse. The recent invitation by the new head of the government, Ahmed Ouyahia, to the protest movement to engage in dialogue over its platform is a welcome, if belated, development. But more will be needed to enable the Algerian polity to resolve what is much more a national problem than the local or ethnic disturbance it is often mistakenly portrayed as.

The unrest has been significant in at least three respects: as a local conflict with considerable human and material cost; as both an issue in and an arena for manoeuvring by regime and opposition forces in anticipation of the presidential elections to be held by 15 April 2004; and especially as the reflection of broader national issues.

The conflict carries dangers for Algeria as a whole, aggravating instability within the regime and putting in question Kabylia’s relationship to the nation. More generally, it is a manifestation of the fundamental problem that has plagued Algeria since independence, the absence of adequate political institutions for the orderly representation of interests and expression of grievances.

Since President Abdelaziz Bouteflika took office in April 1999, the government has partially succeeded in reducing the Islamist rebellion and restoring Algeria’s international standing and state finances. However, other issues have come to the fore, the most important of which has been the syndrome Algerians refer to as la hogra (literally “contempt”), by which they mean the arbitrary nature of official decisions, the abuse of authority at every level, and the fact that state personnel are not accountable and can violate the law and the rights of citizens with impunity. Resentment over this issue has been articulated with unparalleled force in the Kabylia region.

In response to the rioting of late April 2001, a new movement arose, consisting of self-styled “Coordinations” in each of the six wilayât (governorates) of the Kabylia region. In seeking to channel the anger of Kabyle youth into non-violent political protest, it initially demonstrated a remarkable capacity for mobilisation and eclipsed the region’s political parties. It has since dominated political life in Kabylia and has been the object of intense controversy.

For some, the principal cause of the unrest is the conflict between Algerian Berberists and Algerian Arabists over the issue of Kabylia’s – and Algeria’s – cultural identity. Others argue that the movement is based on “tribal” structures (‘aarsh) and represents a regression to archaic sentiments and forms of political action. The reality is more complex. Identity has been only one of the issues addressed by the movement. Its other – essentially democratic – demands have been more important to it. At the same time, while the “tribalism” accusation is largely groundless, the movement has been based on Kabylia’s local traditions, and this has severely hampered its efforts to articulate the modernist aspirations of its population.

The movement’s own weaknesses are partly responsible for its failure to expand beyond Kabylia or to achieve its principal goals: the punishment of those responsible for the Gendarmerie’s excessive repression of protestors during the Black Spring, the withdrawal of the Gendarmerie from the region and the granting of official status to the Berber language, Thamazighth, not to mention more radical demands for Algeria’s rapid democratisation.

Outflanked by the Coordinations, Kabyle political parties reacted by projecting their own political rivalry onto the movement. The regime, crippled by internal divisions and resistance to change, failed to respond effectively to legitimate demands, thereby contributing to the movement’s degeneration into unrealistic, intolerant radicalism that alienated public support.

The result is that the unrest has produced no significant gains for democracy and rule of law while la hogra remains an unresolved problem rooted in the absence of effective political representation. Ordinary Algerians have scarcely any influence over or defence against the ruling coalition of military and technocratic elites and are citizens in little more than name. This is disadvantageous to the state itself because it both guarantees popular resentment and disaffection, expressed in propensity to riot, and precludes effective government. In the case of Kabylia, moreover, given the identity issue, it is has put great strain on national unity.

Cairo/Brussels, 10 June 2003

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