Burkina soldiers carry the coffin of servicemen killed during an attack in Nassoumbou, in the northern province of Soum, in Ouagadougou on 20 December 2016. AFP/Ahmed Ouoba
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Nord du Burkina Faso : ce que cache le jihad

Les violences jihadistes au Sahel de l’Afrique de l’Ouest se sont propagées dans le nord du Burkina Faso. La réponse de Ouagadougou et ses partenaires doit tenir compte des racines sociales et locales de la crise et non uniquement de ses dimensions religieuses et sécuritaires.

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Synthèse

Longtemps épargné par les groupes armés actifs au Sahel, le Burkina Faso est confronté à des attaques de plus en plus fréquentes et meurtrières visant la partie nord du pays. Si l’insécurité résulte en grande partie d’une extension du conflit malien, la crise au Nord du Burkina révèle une dynamique sociale endogène. Présenté comme lié aux jihadistes actifs dans le Sahel, le groupe armé Ansarul Islam, qui semble être l’acteur principal de l’insécurité, est avant tout un mouvement de contestation de l’ordre social qui prévaut dans la province du Soum, dans la région burkinabè du Sahel. Malgré une reprise en main de la situation au printemps 2017, la crise est loin d’être terminée. Le Burkina et ses partenaires sont conscients qu’elle exige une réponse globale, et non uniquement militaire, et que sa résolution définitive dépend en partie de la situation au Mali. Mais cette réponse doit surtout tenir compte des dimensions sociales et locales de la crise, qui prévalent sur ses dimensions religieuses ou sécuritaires.

Ansarul Islam, crĂ©Ă© par Malam Ibrahim Dicko, un prĂŞcheur originaire du Soum, est nĂ© de la contestation de l’organisation sociale en vigueur dans la province. Des annĂ©es durant, Malam prĂ´ne l’égalitĂ© entre les classes sociales. Il remet en cause la toute-puissance des chefferies coutumières et le monopole de l’autoritĂ© religieuse dĂ©tenu par les familles maraboutiques, qu’il accuse de s’enrichir aux dĂ©pens des populations. Cette rhĂ©torique lui vaut un Ă©cho considĂ©rable, surtout parmi les jeunes et les cadets sociaux. MĂŞme s’il perd une grande partie de ses adeptes lorsqu’il bascule dans la lutte armĂ©e, il parvient Ă  en conserver suffisamment pour mener une guerre de basse intensitĂ© contre les autoritĂ©s locales et nationales. L’éventualitĂ© de sa mort au cours d’opĂ©rations militaires menĂ©es au printemps 2017, qui n’a pas Ă©tĂ© prouvĂ©e ni confirmĂ©e, ne mettrait pas fin Ă  la crise.

Produit des réalités sociopolitiques et culturelles locales, Ansarul Islam tient au moins autant de l’insurrection sociale que du mouvement islamiste.

Produit des réalités sociopolitiques et culturelles locales, Ansarul Islam tient au moins autant de l’insurrection sociale que du mouvement islamiste. Il n’est pas tant un groupe critique de la modernité qu’un mouvement qui rejette des traditions perçues comme archaïques. Il exprime les doléances de la majorité silencieuse de la population qui ne détient ni le pouvoir politique, ni l’autorité religieuse. L’islam devient alors un référent de contestation d’une société figée productrice de frustrations. Ansarul Islam n’est pas non plus un groupe de défense des Peul, majoritaires dans le Sahel burkinabè. La revendication ethnique et identitaire est pour le moment marginale dans son discours.

Le rapport distant qu’entretiennent les populations avec l’Etat nourrit également la crise. Le contraste entre le potentiel économique du Nord et le manque de développement alimente un sentiment d’abandon des populations. Comme au Mali, fonctionnaires et forces de sécurité sont plus souvent perçus comme des corps étrangers cherchant à s’enrichir que comme des agents chargés de fournir des services. Les habitants du Soum sont réticents à collaborer avec des forces de sécurité venues d’autres provinces et au comportement parfois brutal.

La crise au Nord du Burkina est beaucoup plus que le simple miroir de la situation au centre du Mali. Certes, le Mali sert de base arrière à Ansarul Islam. Des similarités existent. Mais la poussée de la violence qui se revendique du jihad conduit à négliger la dimension sociale et extrêmement locale des conflits et la capacité des groupes armés à exploiter les clivages qui traversent certaines sociétés. L’insécurité au Nord du Burkina ne résulte pas uniquement d’un déficit de développement, d’une incompréhension entre un Etat central et un territoire lointain ou de l’influence négative d’un voisin en guerre. Elle est surtout le résultat d’une crise profonde qui agite les groupes humains qui habitent les terroirs du Nord. C’est sur ces fractures très locales entre maitres et sujets, dominants et dominés, anciens et modernes que Malam Dicko a bâti sa popularité.

La rĂ©solution dĂ©finitive de la crise dĂ©pendra en partie de la stabilisation du Mali ainsi que de la mise en place par le gouvernement et ses partenaires de plans efficaces de dĂ©veloppement. Mais elle viendra aussi et surtout de la crĂ©ation de nouveaux Ă©quilibres sociaux et d’un règlement par les populations locales de leurs divisions actuelles. Partant de ce constat, le gouvernement pourrait mieux prendre en compte les aspects suivants afin de s’attaquer Ă  la crise :

  • DĂ©velopper des rĂ©ponses qui tiennent compte des dimensions sociales et locales de la crise. Tant que l’ordre social local continuera Ă  produire des frustrations et des conflits, il sera difficile de trouver un règlement dĂ©finitif de la crise. L’action de l’Etat est toutefois limitĂ©e dans ce domaine, car il n’a pas vocation Ă  modifier une organisation sociale qui prĂ©vaut depuis des siècles. C’est davantage aux acteurs locaux qu’incombe la tâche de rĂ©flexion et de production de solutions adaptĂ©es aux spĂ©cificitĂ©s locales, l’Etat et les partenaires internationaux pouvant au mieux stimuler des initiatives de dialogue entre communautĂ©s ou gĂ©nĂ©rations.
     
  • RĂ©duire le fossĂ© entre, d’une part, les forces de sĂ©curitĂ© et les autoritĂ©s Ă©tatiques et, d’autre part, la population. Plusieurs mesures peuvent y contribuer : amĂ©liorer le renseignement humain et mieux protĂ©ger les informateurs ; encourager le recrutement de Peul dans les forces de sĂ©curitĂ© et la fonction publique (sans pour autant imposer de quotas) ; renforcer les activitĂ©s civilo-militaires ; favoriser l’affectation dans la rĂ©gion du Sahel de fonctionnaires et de membres des forces de sĂ©curitĂ© parlant le fulfuldĂ© (la langue peul) ; et sanctionner plus sĂ©vèrement les comportements abusifs.
     
  • Mettre davantage l’accent, dans le programme d’urgence pour la rĂ©gion du Sahel – le volet dĂ©veloppement de l’action gouvernementale –, sur la promotion de l’élevage, l’amĂ©lioration de la justice et la lutte contre la corruption. Soutenir l’élevage, s’attaquer aux dysfonctionnements dont souffre le système judiciaire et au flĂ©au de la corruption dans l’administration contribuerait Ă  rĂ©duire les perceptions nĂ©gatives de l’Etat en montrant qu’il peut ĂŞtre utile pour ses habitants.
     
  • Ĺ’uvrer, Ă  long terme, au renforcement de la coopĂ©ration judiciaire et policière entre le Mali et le Burkina, afin de faciliter la conduite d’enquĂŞtes qui ont des ramifications dans ces deux pays, la gestion des prisonniers et des suspects et leur comparution devant la justice.
     

Ouagadougou/Dakar, 12 octobre 2017

I. Introduction

En 2015, le Burkina entre dans la catĂ©gorie des pays sahĂ©liens victimes des groupes armĂ©s et criminels basĂ©s essentiellement au Mali, mais opĂ©rant dans plusieurs pays de la rĂ©gion. Au nord du pays, la rĂ©gion du Sahel, frontalière du Mali et du Niger, est la zone la plus touchĂ©e par les attaques. Pourtant, il faudra l’attaque de Nassoumbou, dans la province du Soum, en dĂ©cembre 2016 pour que les autoritĂ©s burkinabè prennent enfin conscience que la crise ne relève pas d’un problème exclusivement malien, mais Ă©galement de dynamiques endogènes.[fn]La localitĂ© de Nassoumbou abrite une base d’un bataillon de lutte anti-terroriste de plusieurs centaines d’hommes.Hide Footnote Ce rapport se focalise sur la province du Soum, Ă©picentre du conflit et lieu de naissance du groupe Ansarul Islam dirigĂ© par Malam Ibrahim Dicko, mais il Ă©voque aussi les autres provinces de la rĂ©gion du Sahel (l’Oudalan, le SĂ©no et le Yagha) ainsi que les autres rĂ©gions frontalières, qui sont Ă©galement vulnĂ©rables.[fn]La partie nord du Burkina est composĂ©e de deux rĂ©gions administratives : la rĂ©gion du Nord et la rĂ©gion du Sahel. Cette dernière est divisĂ©e en quatre provinces : le Soum, l’Oudalan, le SĂ©no et le Yagha. Pour Ă©viter la confusion, les termes « rĂ©gion du Sahel Â» ou « Sahel burkinabè Â» seront employĂ©s dans ce rapport pour dĂ©signer cette rĂ©gion administrative, tandis que l’expression « le Sahel Â» dĂ©signera la zone qui s’étend de la Mauritanie au Soudan. De mĂŞme, « le Nord Â» dĂ©signera la partie nord du pays, tandis que « la rĂ©gion du Nord Â» dĂ©signera la rĂ©gion administrative.Hide Footnote

La province du Soum est majoritairement peuplĂ©e de Peul, second groupe ethnique du Burkina. D’après le recensement de 2006, dont les chiffres sont Ă  prendre avec prĂ©caution, 56 pour cent des habitants de la rĂ©gion du Sahel ont pour langue maternelle le fulfuldĂ© (la langue peul). Plusieurs interlocuteurs estiment que la proportion de Peul dans la rĂ©gion du Sahel avoisine les 70-75 pour cent.[fn]Entretiens de Crisis Group, habitant du Soum, Ouagadougou, mai 2017 ; autoritĂ©s locales, Djibo, mai 2017. « Recensement gĂ©nĂ©ral de la population et de l’habitation (RGPH) 2006. Analyse des rĂ©sultats dĂ©finitifs. Thème 2 : Etat et structure de la population Â», Institut national de la statistique et de la dĂ©mographie, octobre 2009.Hide Footnote Le grand groupe ethnique peul est subdivisĂ© principalement entre Peul issus des classes nobles et descendants d’esclaves, appelĂ©s RimaibĂ©. Les RimaibĂ© sont les descendants des populations autochtones qui ont Ă©tĂ© rĂ©duites en esclavage par les Peul et assimilĂ©es. Aujourd’hui, Peul et RimaibĂ© sont inclus dans le mĂŞme grand groupe ethnique peul : ils partagent la mĂŞme culture, la mĂŞme langue et ont souvent des patronymes identiques. Le clivage reste nĂ©anmoins marquĂ© : « chacun connait sa place Â», comme le rĂ©sume un reprĂ©sentant peul.[fn]Entretien de Crisis Group, reprĂ©sentant peul, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Dans la province du Soum, les habitants autochtones, les Kurumba, aussi appelĂ©s FulsĂ©, sont minoritaires. Des Mossi (l’ethnie majoritaire au Burkina) et des membres d’autres groupes vivent Ă©galement dans la province.

L’histoire pré-coloniale de la région du Sahel explique son organisation sociopolitique actuelle.

L’histoire prĂ©-coloniale de la rĂ©gion du Sahel explique son organisation sociopolitique actuelle.[fn]Voir les travaux du Professeur Hamidou Diallo, « Le foyer de Wuro-Saba au Jelgooji (Burkina Faso) et la quĂŞte d’une suprĂ©matie islamique (1858-2000) Â», in Muriel Gomez-Perez, Islam politique au Sud du Sahara. IdentitĂ©s, discours et enjeux (2009), p. 401 ; et « Naissance et Ă©volution des pouvoirs peuls au Sahel burkinabè (Jelgooji, Liptaako et Yaaga) du XVIIIe Ă  la fin du XIXè Â», dans Hamidou Diallo, Moussa Willy Bantenga, Le Burkina Faso passĂ© et prĂ©sent (2015), p. 97-114. Entretiens de Crisis Group, historien, Ouagadougou, janvier et mai 2017.Hide Footnote Entre les XVème et XVIIIème siècles, l’arrivĂ©e des Ă©leveurs peul originaires du delta intĂ©rieur du Niger conduit Ă  l’éviction des agriculteurs sĂ©dentaires du pouvoir et Ă  l’établissement de la domination peul. Cela aboutit Ă  la crĂ©ation d’une organisation sociale hiĂ©rarchisĂ©e entre nobles et familles princières, familles maraboutiques, artisans, forgerons, tisserands, griots, descendants d’esclaves, etc.[fn]Il existe des rivalitĂ©s entre grandes familles maraboutiques. Les CissĂ©, considĂ©rĂ©s comme les dĂ©tenteurs authentiques et lĂ©gitimes de l’autoritĂ© religieuse, et les DoukourĂ©, des Marka venus du Mali Ă  l’époque coloniale, appartiennent Ă  deux branches rivales de la confrĂ©rie Tijanyia. Entretiens de Crisis Group, historien, ancien haut fonctionnaire, Ouagadougou, mai 2017. Jean-Louis Triaud, David Robinson, La Tijâniyya : une confrĂ©rie musulmane Ă  la conquĂŞte de l’Afrique (Paris, 2005).Hide Footnote Les Peul ne parviennent jamais Ă  former une entitĂ© politique unique,[fn]La rĂ©gion est divisĂ©e entre Ă©mirats du Liptako, du Yagha et du Jelgooji. Ce dernier, qui correspond Ă  la province du Soum, Ă©tait lui-mĂŞme divisĂ© entre chefferies de Djibo et de BaraboulĂ©.Hide Footnote mais ils utilisent l’islam comme outil d’émancipation par rapport aux peuples sĂ©dentaires animistes. Ceci rappelle la situation actuelle oĂą des groupes majoritairement peul entrent en lutte armĂ©e contre un pouvoir central dominĂ© par les Bambara au Mali et par les Mossi au Burkina. L’enjeu actuel de la rĂ©volte sociale dans la province du Soum n’est donc pas la restauration d’un Empire du Macina dont ils n’ont jamais fait partie, ou d’un royaume du Jelgooji qui n’a jamais existĂ© en tant qu’entitĂ© politique unifiĂ©e, mais plutĂ´t la poursuite sous d’autres formes des luttes passĂ©es et un reflet des divisions qui ont agitĂ© la province Ă  travers l’histoire.

Ce rapport, qui s’inscrit dans la continuitĂ© des travaux de Crisis Group sur les rĂ©ponses Ă  apporter Ă  la montĂ©e de l’extrĂ©misme violent, analyse les causes profondes d’une crise qui trouve ses racines dans un ordre social figĂ© et inĂ©galitaire.[fn]Pour les travaux prĂ©cĂ©dents de Crisis Group sur le jihadisme, voir notamment le rapport spĂ©cial de Crisis Group N°1, Exploiter le chaos : l’Etat islamique et al-Qaeda, 14 mars 2016.Hide Footnote Il souligne la nĂ©cessitĂ© d’apporter une rĂ©ponse qui ne soit pas seulement militaire et qui s’inscrive dans la durĂ©e et tienne compte des dimensions sociales. Il fournit Ă©galement une Ă©valuation de la rĂ©ponse militaire mise en Ĺ“uvre depuis le dĂ©but de l’annĂ©e 2017. MalgrĂ© les opĂ©rations militaires et la reprise en main de la situation, les autoritĂ©s et leurs partenaires devraient avoir le triomphe modeste : les attaques continuent, et quand bien mĂŞme Malam serait mort, les groupes jihadistes savent, mieux que les armĂ©es qui les combattent, s’adapter Ă  une nouvelle donne. Ce travail repose sur une cinquantaine d’entretiens avec des forces de sĂ©curitĂ©, des autoritĂ©s locales et nationales, des membres du gouvernement et de l’opposition, des reprĂ©sentants de la sociĂ©tĂ© civile, des chercheurs et des habitants de la province du Soum. Ces entretiens ont Ă©tĂ© menĂ©s principalement en janvier et en mai 2017 Ă  Ouagadougou et Ă  Djibo.

Le président du centre des Etudes Coraniques du Burkina Faso (à droite) et un collègue discutent avec l’analyste de l’Afrique de l’Ouest de Crisis Group, Cynthia Ohayon à Ouagadougou, le 10 octobre 2017. CRISIS GROUP/Julie David de Lossy

II. Les racines sociales de la crise

A. Malam Ibrahim Dicko, de la radio au jihad

La crise du Soum s’articule autour d’une figure de la rĂ©gion, fondateur d’Ansarul Islam, Malam Ibrahim Dicko. De son vrai nom Boureima Dicko, issu d’une famille de marabouts et originaire de la localitĂ© de SoboulĂ©, dans la province du Soum, il est (ou Ă©tait) âgĂ© d’une quarantaine d’annĂ©es. Malam, dont la santĂ© est fragile, Ă©tudie Ă  l’école classique et Ă  l’école coranique au Burkina et au Mali, puis il enseigne au Niger.[fn]D’après un de ses anciens camarades, Malam est un enfant chĂ©tif et dĂ©sĹ“uvrĂ©, incapable d’exĂ©cuter les corvĂ©es physiques. Il est Ă©galement diabĂ©tique. « Malam Â» signifie « marabout Â» en langue hausa. Entretiens de Crisis Group, ancien Ă©lu, reprĂ©sentant peul, source sĂ©curitaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote En 2009, il commence Ă  prĂŞcher dans de nombreux villages du Soum, oĂą il Ă©tablit des reprĂ©sentations locales,[fn]Entretien de Crisis Group, ancien Ă©lu, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote ainsi que dans deux radios très connues, La Voix du Soum et La radio lutte contre la dĂ©sertification (LRCD). Il prĂŞche dans une mosquĂ©e du vendredi Ă  Djibo, aujourd’hui fermĂ©e.[fn]Entretiens de Crisis Group, acteur humanitaire, source sĂ©curitaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote

En 2012, son association, al-Irchad, est officiellement reconnue par les autoritĂ©s.[fn]« Comment est nĂ© Ansaroul Islam, premier groupe djihadiste de l’Histoire du Burkina Faso Â», Le Monde, 11 avril 2017.Hide Footnote Malam est Ă©coutĂ© dans toute la province, notamment grâce Ă  ses talents d’orateur et Ă  son discours contestataire (voir section II.B).[fn]Entretiens de Crisis Group, dĂ©putĂ©, ancien Ă©lu, acteur humanitaire, reprĂ©sentant peul, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Il finance facilement la diffusion radiophonique quasi quotidienne de ses prĂŞches, ce qui suppose une aide financière extĂ©rieure.[fn]Entretien de Crisis Group, ancien Ă©lu, Ouagadougou, mai 2017. Dans certaines radios commerciales burkinabè, on peut acheter du temps d’antenne.Hide Footnote Le gouvernement de transition au Burkina bloque les financements dĂ©diĂ©s Ă  la construction de plusieurs mosquĂ©es, ce qui alimente la rancĹ“ur de Malam et ses adeptes envers les fils de marabouts et les princes du Soum, accusĂ©s de jouer de leur influence Ă  Ouagadougou pour empĂŞcher la construction de mosquĂ©es liĂ©es Ă  al-Irchad.[fn]Entretiens de Crisis Group, reprĂ©sentant peul, membre de l’opposition, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote

Le caractère radical du discours de Malam conduit les autorités locales, coutumières et religieuses à tirer la sonnette d’alarme, mais aucune action préventive n’est véritablement entreprise.

Le caractère radical du discours de Malam conduit les autoritĂ©s locales, coutumières et religieuses Ă  tirer la sonnette d’alarme, mais aucune action prĂ©ventive n’est vĂ©ritablement entreprise.[fn]Entretien de Crisis Group, ancien fonctionnaire, Ouagadougou, janvier 2017 ; ancien Ă©lu, Ouagadougou, mai 2017. Un rapport de l’Union europĂ©enne publiĂ© en septembre 2016 cite un certain « Malam Ibrahima Â» comme un prĂŞcheur radical connu dans la province du Soum. « Facteurs et acteurs de la radicalisation dans les zones frontalières au Burkina Faso Â», Programme de l’Union europĂ©enne de prĂ©vention rĂ©gionale contre l’extrĂ©misme violent dans le Sahel et le Maghreb (PPREV-UE).Hide Footnote Malam aurait un temps Ă©tĂ© sous la surveillance des services de sĂ©curitĂ© du rĂ©gime de Blaise CompaorĂ©, mais ils ont pu perdre sa trace Ă  la suite de la dĂ©stabilisation de l’appareil sĂ©curitaire provoquĂ©e par la chute du rĂ©gime.[fn]Entretien de Crisis Group, cadre de l’ancien rĂ©gime, Ouagadougou, mai 2017. Andrew Mc Gregor, « Islamist Insurgency in Burkina Faso: A Profile of Malam Ibrahim Dicko Â», Aberfoyle International Security, 30 avril 2017.Hide Footnote Il est arrĂŞtĂ© en septembre 2013 Ă  Tessalit, dans le Nord du Mali, par l’opĂ©ration française Serval, avec une importante somme en euros d’après certaines sources.[fn]« Qui est l’imam Ibrahim Dicko, la nouvelle terreur du nord du Burkina ? Â», Jeune Afrique, 9 janvier 2017. Une source sĂ©curitaire Ă©voque la somme de 9 000 euros. Entretiens de Crisis Group, source sĂ©curitaire, reprĂ©sentant peul, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Après un passage en prison Ă  Bamako, il est relâchĂ© courant 2015.[fn]Plusieurs hypothèses circulent quant aux raisons de sa libĂ©ration : la justice malienne aurait Ă©tĂ© corrompue ; il aurait Ă©tĂ© libĂ©rĂ© car il Ă©tait malade ; des responsables politiques influents seraient intervenus pour sa libĂ©ration. Entretiens de Crisis Group, ancien fonctionnaire, Ouagadougou, janvier 2017 ; reprĂ©sentant peul, source sĂ©curitaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Il aurait rencontrĂ© au Mali son mentor Hamadoun Koufa, le chef du Front de libĂ©ration du Macina, un groupe armĂ© opĂ©rant dans le centre du Mali, courant 2015.[fn]Andrew Mc Gregor, op. cit.Hide Footnote

Au dĂ©but de l’annĂ©e 2016, l’émir de Djibo et le grand imam, dont Malam a Ă©pousĂ© la fille, le dĂ©savouent.[fn]Entretiens de Crisis Group, reprĂ©sentant peul, acteur humanitaire, source sĂ©curitaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Il rĂ©pudie ensuite sa femme et prend le maquis, perdant alors la plupart de ses adeptes. Seul un cercle restreint de fidèles le suit pour aller s’entrainer au Mali.[fn]Entretiens de Crisis Group, acteur humanitaire, Ouagadougou, Ă©lu local, Djibo, mai 2017. Fin 2016, des rumeurs circulent selon lesquelles le groupe de Malam propose 70 000 francs CFA (107 euros) par semaine pour venir s’entrainer au Mali. Le salaire minimum au Burkina Faso est de 33 000 francs CFA par mois (50 euros). Entretien de Crisis Group, reprĂ©sentant peul, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Il cherche alors Ă  Ă©liminer ses anciens camarades.[fn]Il fait assassiner entre autres son ancien bras droit, Hamadoun Tamboura, alias Hamadoun Boly. Entretiens de Crisis Group, Ă©lu local, reprĂ©sentants de la sociĂ©tĂ© civile, Djibo, mai 2017.Hide Footnote L’action d’Ansarul Islam est fortement imprĂ©gnĂ©e d’une logique de règlements de comptes, ce qui fait craindre Ă  un Ă©lu local que le « cycle de vengeance Â» ne s’installe dans la durĂ©e.[fn]Entretien de Crisis Group, Ă©lu local, Djibo, mai 2017.Hide Footnote L’attaque du poste militaire de Nassoumbou le 16 dĂ©cembre 2016, qui aurait Ă©tĂ© menĂ©e par Ansarul Islam et l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et qui a coutĂ© la vie Ă  douze soldats burkinabè, permet Ă  Ansarul Islam d’officialiser son existence.[fn]Officiellement adoubĂ© par l’Etat islamique fin 2016, l’EIGS, opĂ©rant essentiellement dans la zone des trois frontières (Mali, Burkina, Niger) appelĂ©e Liptako-Gourma, est dirigĂ© par Adnan Abu Walid al-Sahraoui, ancien membre dissident d’al-Mourabitoune. Ses liens avec Ansarul Islam ne sont pas clairs mais des sources sĂ©curitaires burkinabè estiment que les deux groupes ont menĂ© conjointement l’attaque de Nassoumbou.Hide Footnote

En juin 2017, une publication d’une page Facebook non authentifiée se revendiquant d’Ansarul Islam affirme que Jafar Dicko, qui serait le frère cadet de Malam, prend sa succession à la tête du mouvement. Cette information corrobore le sentiment des sources sécuritaires burkinabè, selon lesquelles Malam aurait été blessé lors des offensives militaires du printemps et il aurait succombé à ses blessures. En l’absence de preuve formelle ou d’infirmation ou de confirmation par Ansarul Islam, le doute subsiste.

B. La contestation d’un ordre social figé et inégalitaire

Que Malam soit mort ou vivant, ses idĂ©es et son discours de contestation se sont rĂ©pandus et installĂ©s dans la province. Il dĂ©nonce tout d’abord l’enrichissement des familles maraboutiques, qui utilisent leur statut de seules dĂ©tentrices de l’autoritĂ© religieuse pour extorquer de l’argent Ă  la population. Cette contestation reflète le clivage entre les familles maraboutiques traditionnelles, qui ont une lĂ©gitimitĂ© historique et au sein desquelles l’imamat se transmet de manière hĂ©rĂ©ditaire, et une nouvelle gĂ©nĂ©ration d’érudits musulmans, qui estiment que l’autoritĂ© religieuse ne doit plus ĂŞtre l’apanage d’une minoritĂ©. Malam conteste ainsi le fait que seuls les imams issus de ces familles sont habilitĂ©s Ă  diriger la prière ou Ă  donner des avis en matière de religion, d’autant plus qu’ils n’ont pas toujours les connaissances requises. La maitrise de l’arabe confère Ă  cette nouvelle gĂ©nĂ©ration d’érudits une crĂ©dibilitĂ© aux yeux de la population. Malam dĂ©nonce aussi la toute-puissance des chefferies coutumières.[fn]Entretiens de Crisis Group, historien, ancien ministre, habitant du Soum, reprĂ©sentant peul, ancien Ă©lu, Ouagadougou, mai 2017 ; autoritĂ©s locales, reprĂ©sentants politiques, Djibo, mai 2017.Hide Footnote

Cette contestation de l’ordre Ă©tabli entraine la remise en cause de pratiques traditionnelles qui, d’après Malam, ne sont pas prescrites par l’islam, telles que le don d’argent aux marabouts lors de cĂ©rĂ©monies, la dot ou l’organisation de fĂŞtes coĂ»teuses pour cĂ©lĂ©brer mariages et baptĂŞmes. Un mariage peut coĂ»ter jusqu’à 500 000 francs CFA (760 euros), soit dix fois plus que le salaire minimum mensuel en ville.[fn]Entretien de Crisis Group, ancien Ă©lu, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Cette rhĂ©torique suscite l’adhĂ©sion des plus modestes, car elle leur retire un fardeau financier. Malam conteste Ă©galement les rapports hiĂ©rarchiques entre les descendants de maitres, les Peul, et les descendants d’esclaves, les RimaibĂ©. Si l’esclavage a Ă©tĂ© aboli lors de la colonisation, le clivage reste marquĂ© entre ces deux groupes.

Pour justifier son discours contestataire, Malam affirme que celui-ci est en adĂ©quation avec un islam pur, non perverti par les traditions. Il dĂ©nonce par exemple les inĂ©galitĂ©s sociales comme Ă©tant contraires Ă  l’islam. L’islam sert alors Ă  contester un ordre social figĂ© et inĂ©galitaire et des pratiques qui ne sont plus en adĂ©quation avec les aspirations de la population. Dans cette rĂ©gion, la religion musulmane est davantage prĂ©sente en tant que tradition qu’en tant que pratique religieuse per se. Il n’est pas rare de trouver des princes qui consomment de l’alcool et il est interdit de se saluer en disant « salam aleikoum Â» dans la cour des chefs.[fn]Entretiens de Crisis Group, reprĂ©sentant peul, ancien haut fonctionnaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Crisis Group interviews, Fulani representative, former senior official, Ouagadougou, May 2017.Hide Footnote

S’il est composé majoritairement de Peul et de Rimaibé, le mouvement de Malam ne comporte pas une forte dimension ethnique.

S’il est composĂ© majoritairement de Peul et de RimaibĂ©, le mouvement de Malam ne comporte pas une forte dimension ethnique. Son discours mentionne certes la nĂ©cessitĂ© pour les Peul de se dĂ©fendre face aux trop nombreuses vexations qu’ils ont subies, bien qu’il ne le dise pas ouvertement dans ses prĂŞches. Mais lorsqu’il prĂ´ne l’égalitĂ© entre Peul et RimaibĂ©, il cherche Ă  gommer les clivages ethniques.[fn]Entretiens de Crisis Group, reprĂ©sentant peul, ancien Ă©lu, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote De plus, il n’y aurait pas que des Peul et des RimaibĂ© dans son mouvement.[fn]Il y aurait aussi des Songhai, des Mossi et des FulsĂ©. Un reprĂ©sentant peul raconte que des assaillants associĂ©s Ă  Malam parleraient moorĂ©, langue que peu de Peul du Sahel burkinabè maitrisent correctement. L’enseignant assassinĂ© en mars 2017, Salif Badini, un FulsĂ©, Ă©tait un ancien du groupe de Malam. Entretiens de Crisis Group, journaliste, diplomates, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote La plupart de ses adhĂ©rents sont Peul et RimaibĂ© avant tout car ses prĂŞches sont en fulfuldĂ© et la majoritĂ© des habitants du Sahel burkinabè sont issus de ces communautĂ©s, toutes deux fulanophones. Malam affirme Ă©galement que « nous sommes les RimaibĂ© des Blancs Â», ce qui rĂ©vèle une dimension anti-occidentale peu surprenante.[fn]Entretien de Crisis Group, reprĂ©sentant peul, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote

Dès 2009-2010, le discours de Malam rencontre un Ă©cho considĂ©rable dans toute la province du Soum. Anecdote rĂ©vĂ©latrice de son succès, un ancien Ă©lu de la province raconte qu’un militant de son parti suggère un jour de reporter leur rĂ©union, car « c’est l’heure d’écouter Malam Â».[fn]Entretien de Crisis Group, ancien Ă©lu, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Malam perd ensuite la plupart de ses adeptes lorsqu’il bascule dans la violence,[fn]Entretiens de Crisis Group, autoritĂ©s locales, reprĂ©sentants politiques, Djibo, ancien Ă©lu, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote ce qui suggère que si son discours a du succès, peu de gens pensent que la solution passe par les armes. Certaines de ses idĂ©es sont dĂ©sormais bien implantĂ©es dans la province du Soum. Depuis peu, il est par exemple rare de cĂ©lĂ©brer un mariage en organisant une fĂŞte dansante avec flĂ»tes et percussions comme le veut la tradition peul.[fn]Entretiens de Crisis Group, ancien Ă©lu, marabout, reprĂ©sentant peul, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote

Son discours sĂ©duit particulièrement la jeunesse et les cadets sociaux puisque Malam se place en « dĂ©fenseur des pauvres Â» et en « libĂ©rateur Â» pour allĂ©ger le poids de traditions perçues comme archaĂŻques et contraignantes.[fn]Entretiens de Crisis Group, dĂ©putĂ©, reprĂ©sentant peul, ancien Ă©lu, marabout, Ouagadougou, Ă©lu local, Djibo, mai 2017.Hide Footnote En toute logique, les RimaibĂ©, basse couche de la sociĂ©tĂ© peul du Soum, sont très sensibles Ă  son discours prĂ´nant l’égalitĂ©.[fn]Entretiens de Crisis Group, autoritĂ©s locales, Ă©lus locaux, Djibo, mai 2017 ; marabouts rimaibĂ©, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Son succès reflète un clivage gĂ©nĂ©rationnel entre les anciens, gĂ©nĂ©ralement enclins Ă  prĂ©server la tradition, et les jeunes, prompts Ă  bousculer le statu quo pour trouver leur place. Le mĂŞme ancien Ă©lu raconte que lors d’une cĂ©lĂ©bration de la Tabaski, un jeune proche de Malam critique la pratique habituelle selon laquelle l’imam doit d’abord sacrifier son mouton avant que chacun puisse en faire de mĂŞme. Des proches de l’imam lui rĂ©torquent qu’il n’est qu’un « petit Â» qui ne peut se permettre de parler ainsi Ă  l’imam.[fn]Entretien de Crisis Group, ancien Ă©lu, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote

Parmi les adeptes de Malam lorsqu’il est à la tête de l’association al-Irchad se trouvent également des fonctionnaires, notamment des enseignants. Al-Irchad a aidé certains d’entre eux à solder leurs prêts, car ceux-ci sont contraires à l’islam.[fn]Entretiens de Crisis Group, autorité locale, élu local, fonctionnaires, Djibo, mai 2017.Hide Footnote Par ailleurs, des enseignants seraient impliqués dans la contrebande de produits illicites, ce qui expliquerait la volonté d’Ansarul Islam de les éliminer pour éviter qu’ils ne dénoncent leurs anciens camarades.[fn]Entretien de Crisis Group, haut fonctionnaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Tout ceci nourrit l’impression qu’Ansarul Islam cible l’école. Or, si quelques écoles ont effectivement été menacées (sans revendication toutefois), les attaques contre les enseignants semblent obéir davantage à une logique de représailles contre d’anciens camarades (et potentiels informateurs auprès des forces de sécurité) qu’à une volonté délibérée d’attaquer l’école occidentale.[fn]Entretiens de Crisis Group, haut fonctionnaire, Ouagadougou, fonctionnaire, Djibo, mai 2017.Hide Footnote L’enseignant assassiné début mars 2017, Salif Badini, était un ancien membre d’al-Irchad et il serait devenu un informateur des forces de sécurité.[fn]Entretiens de Crisis Group, haut fonctionnaire, journaliste, diplomate, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote

Le phénomène Ansarul Islam est donc un produit des réalités sociopolitiques et culturelles de la province du Soum. Il reflète les doléances de la majorité silencieuse de la population qui ne détient ni le pouvoir politique, ni l’autorité religieuse. Il ne s’agit donc pas d’une contestation islamiste de la modernité, mais bien d’un rejet de traditions qui perpétuent une société figée productrice de frustrations. Ce phénomène au fort ancrage local semble ensuite avoir été récupéré par des groupes actifs au Mali voisin, ce qui lui donne des ramifications régionales.

C. Un rapport distant à l’Etat

La perception d’un Etat distant, incapable de fournir des services, explique aussi l’essor du mouvement de Malam. La population a le sentiment que la rĂ©gion du Sahel est dĂ©laissĂ©e par l’Etat et que ses potentialitĂ©s Ă©conomiques ne sont pas mises en valeur. Pourtant, en matière de taux de pauvretĂ© individuelle, le Sahel burkinabè est la deuxième rĂ©gion la moins pauvre du Burkina.[fn]La rĂ©gion du Sahel a un taux de pauvretĂ© de 21 pour cent, contre 40 pour cent au niveau national. « Profil de pauvretĂ© et d’inĂ©galitĂ©s. EnquĂŞte multisectorielle continue (EMC) 2014 Â», Institut national de la statistique et de la dĂ©mographie (INSD), novembre 2015, p. 30.Hide Footnote C’est d’ailleurs l’existence de richesses agricoles, pastorales et minières qui, par son contraste avec le sous-dĂ©veloppement, crĂ©e de la frustration.

Faiblesse des infrastructures, routières en particulier, nombre limitĂ© de centres de santĂ© et d’écoles, manque d’eau et d’électricitĂ© : « tous les indicateurs sont au rouge Â».[fn]Entretiens de Crisis Group, acteur humanitaire, Ouagadougou, opĂ©rateurs Ă©conomiques, Djibo, mai 2017. En 2014, la rĂ©gion du Sahel Ă©tait classĂ©e dernière du Burkina en matière d’accès aux services de base en moins de 30 minutes. Le taux de scolarisation primaire est le plus faible de tout le pays, avec 32,7 pour cent, contre 73,9 pour cent au niveau national. « La rĂ©gion du Sahel en chiffres Â», ministère de l’Economie et des Finances, Direction rĂ©gionale du Sahel, 2015.Hide Footnote La sècheresse et la faible profondeur des nappes phrĂ©atiques mettent en difficultĂ© les principales activitĂ©s de la rĂ©gion que sont l’agriculture et l’élevage.[fn]Beaucoup d’éleveurs sont contraints de migrer, d’autres ont perdu leurs animaux et sont employĂ©s comme gardiens de bĂ©tail, ce qui reprĂ©sente une rĂ©gression sociale qui crĂ©e des frustrations. Entretiens de Crisis Group, source sĂ©curitaire, membre de l’opposition, reprĂ©sentant peul, ancien ministre, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Djibo, le chef-lieu de la province, abrite le plus grand marchĂ© Ă  bĂ©tail du pays, mais la ville attend toujours le bitume.[fn]Le bitume s’arrĂŞte Ă  Koungoussi. En raison du mauvais Ă©tat de la piste, il faut parfois plus de quatre heures pour parcourir le tronçon Koungoussi-Djibo (95 kilomètres). Les travaux de bitumage sont en cours et devraient ĂŞtre achevĂ©s fin 2018. Les financements du projet de bitumage auraient prĂ©cĂ©demment Ă©tĂ© dĂ©tournĂ©s Ă  plusieurs reprises. Entretien de Crisis Group, autoritĂ© locale, Djibo, mai 2017 ; courriel de Crisis Group, reprĂ©sentant peul, mai 2017.Hide Footnote Le boom minier montre aux populations que les richesses dont regorge leur sous-sol sont exploitĂ©es par des Ă©trangers sans qu’aucun bĂ©nĂ©fice ne leur revienne.[fn]Entretiens de Crisis Group, dĂ©putĂ©, Ouagadougou, juin 2016 ; autoritĂ© coutumière, Djibo, mai 2017.Hide Footnote La demande de plusieurs interlocuteurs Ă  Djibo d’ériger la province du Soum en rĂ©gion administrative afin de favoriser le dĂ©senclavement est rĂ©vĂ©latrice de ce sentiment d’abandon par l’Etat.[fn]Entretiens de Crisis Group, opĂ©rateurs Ă©conomiques, reprĂ©sentants politiques, Djibo, mai 2017.Hide Footnote Ces difficultĂ©s sont aggravĂ©es par la crise humanitaire provoquĂ©e par la montĂ©e de l’insĂ©curitĂ©.

Les populations de la région burkinabè du Sahel ont une vision négative de l’Etat.

Les populations de la rĂ©gion burkinabè du Sahel ont une vision nĂ©gative de l’Etat. Comme le rĂ©sume un ancien Ă©lu, « les gens ont tellement peur des autoritĂ©s Â». Ils perçoivent l’Etat comme une entitĂ© chargĂ©e non pas de servir, mais de se servir, parfois en usant de la force.[fn]Entretien de Crisis Group, ancien Ă©lu, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Historiquement rĂ©ticents Ă  envoyer leurs enfants Ă  l’école dite française, il est souvent plus difficile pour les Peul de naviguer Ă  travers un système administratif calquĂ© sur le modèle français, et de connaitre et revendiquer leurs droits. Peu de fonctionnaires et de forces de sĂ©curitĂ© envoyĂ©s dans la rĂ©gion du Sahel maitrisent le fulfuldĂ© (la langue peul). Cette barrière linguistique creuse le fossĂ© entre l’administration et les administrĂ©s. Des habitants du Soum soulignent la difficultĂ© d’obtenir des documents d’état civil ou l’incapacitĂ© des autoritĂ©s Ă  aider les bergers victimes de vol de bĂ©tail.[fn]Entretiens de Crisis Group, opĂ©rateurs Ă©conomiques, Djibo, reprĂ©sentant peul, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Si les fonctionnaires ont longtemps perçu leur affectation dans le Sahel burkinabè comme une sanction, beaucoup se sont enrichis grâce aux trafics, Ă  la corruption et au racket.[fn]Par exemple, un Ă©leveur qui coupe une simple branche d’arbre dans une forĂŞt protĂ©gĂ©e peut se voir infliger une amende de 50 000 francs CFA (76 euros), qui permet gĂ©nĂ©ralement d’enrichir les agents des eaux et forĂŞts Entretiens de Crisis Group, dĂ©putĂ©, membre de l’opposition, Ouagadougou, reprĂ©sentants de la sociĂ©tĂ© civile, Djibo, mai 2017.Hide Footnote

Au-delĂ  de la seule rĂ©gion du Sahel, il existe chez les Peul, prĂ©sents dans tout le Burkina, un sentiment de victimisation. Des membres de la communautĂ© se plaignent d’être sous-reprĂ©sentĂ©s parmi l’élite politique et administrative, et dĂ©plorent le fait que, selon eux, les institutions de l’Etat (justice, administration, forces de sĂ©curitĂ©) favorisent les autres communautĂ©s en cas de conflit.[fn]Entretiens de Crisis Group, source sĂ©curitaire, Ouagadougou, juin 2016 ; reprĂ©sentants peul, Ouagadougou, octobre 2016 ; membre de l’opposition, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote

Ce rapport difficile Ă  l’Etat complique la lutte contre Ansarul Islam. Les forces de sĂ©curitĂ© Ă©prouvaient au dĂ©part toutes les difficultĂ©s Ă  obtenir la collaboration de la population, soit parce que certains sont des sympathisants du mouvement, soit parce qu’elle se refuse Ă  dĂ©noncer un fils du terroir, ou enfin parce qu’Ansarul Islam a instaurĂ© un climat de terreur. Le renforcement de la prĂ©sence militaire a quelque peu rassurĂ©, et plusieurs interlocuteurs affirment que la collaboration entre forces de sĂ©curitĂ© et population s’amĂ©liore tout doucement. Les forces de sĂ©curitĂ© se font par exemple plus discrètes lorsqu’elles entrent en contact avec leurs informateurs.[fn]Entretiens de Crisis Group, autoritĂ©s locales, Djibo, ancien Ă©lu, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote La mĂ©fiance reste nĂ©anmoins de mise, et Ansarul Islam aurait encore des partisans dans les villages. Les forces de sĂ©curitĂ© se plaignent toujours du manque d’adhĂ©sion et de coopĂ©ration des populations.[fn]Entretiens de Crisis Group, ancien Ă©lu, source sĂ©curitaire, marabout, Ouagadougou, Ă©lu local, Djibo, mai 2017 ; entretien tĂ©lĂ©phonique, source sĂ©curitaire, juin 2017.Hide Footnote

Des craintes existent quant au comportement des forces de sĂ©curitĂ©, craintes qui pourraient se multiplier avec le renforcement de la prĂ©sence militaire. Des interlocuteurs dĂ©plorent des arrestations arbitraires ou des mauvais traitements, qui peuvent renforcer le sentiment d’injustice et d’aliĂ©nation envers l’Etat.[fn]Entretiens de Crisis Group, ancien fonctionnaire, Ouagadougou, janvier 2017 ; reprĂ©sentant peul, source sĂ©curitaire, acteur humanitaire, diplomate, Ouagadougou, mai 2017 ; Ă©lu local, religieux, Djibo, mai 2017. Un rapport de Human Rights Watch, qui dĂ©nonce des violations des droits humains commises par les forces de sĂ©curitĂ© maliennes et burkinabè dans la lutte contre le jihadisme, confirme ces craintes. « Mali : Les opĂ©rations militaires donnent lieu Ă  des abus Â», Human Rights Watch, 8 septembre 2017.Hide Footnote Les forces de sĂ©curitĂ© expliquent qu’elles arrĂŞtent parfois tout un groupe pour Ă©viter que ceux qui ne sont pas arrĂŞtĂ©s soient perçus comme des informateurs et deviennent des cibles d’Ansarul Islam.[fn]Entretien de Crisis Group, Ă©lu local, Djibo, mai 2017.Hide Footnote Que cela soit ou non avĂ©rĂ©, il n’en demeure pas moins que les habitants du Soum se sentent stigmatisĂ©s et c’est cette perception qui constitue un rĂ©el danger.

D. Une province frontalière du Mali particulièrement vulnérable

La situation dans la province du Soum rappelle Ă  certains Ă©gards ce qui se dĂ©roule dans le centre du Mali, pays avec lequel le Burkina partage une frontière de plus de 1 000 kilomètres. Le chef islamiste Hamadoun Kouffa et Malam Ibrahim Dicko, qui se connaissent, ont des trajectoires et des discours similaires. Tous deux ont prĂŞchĂ© dans les villages et Ă  la radio et critiquent l’ordre social, les Ă©lites locales et l’Etat.[fn]Sur le centre du Mali, voir le rapport Afrique de Crisis Group N°238, Mali central : la fabrique d’une insurrection, 6 juillet 2016.Hide Footnote La situation au Burkina est toutefois diffĂ©rente de celle qui prĂ©vaut au Mali. Les groupes radicaux au centre du Mali semblent recruter davantage chez les pasteurs nomades libres que chez les RimaibĂ©, et ils cherchent Ă  Ă©largir leur audience en diffusant des prĂŞches dans d’autres langues que le fulfuldĂ©. La crise dans la province du Soum est restĂ©e, jusqu’à prĂ©sent, de faible intensitĂ©. S’il a instaurĂ© un climat de terreur, Ansarul Islam n’est pas parvenu Ă  faire basculer toute la province dans la violence gĂ©nĂ©ralisĂ©e. La propension des Burkinabè du Soum Ă  prendre les armes semble pour le moment limitĂ©e.

Il y a eu plusieurs tentatives d’implantation de cellules terroristes au Burkina. A l’Ouest, dans la zone oĂą a eu lieu l’attaque de Samorogouan (rĂ©gion des Hauts-Bassins) en octobre 2015, la Katiba Ansar Dine Sud a essayĂ©, sans succès, de crĂ©er une cellule. A l’Est, des Ă©lĂ©ments d’al-Mourabitoune, groupe nĂ© d’une dissidence d’al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) et dirigĂ© par Mokhtar Belmokhtar, auraient tentĂ© de s’implanter dans la forĂŞt de la Tapoa. Mais parce qu’ils maitrisent moins bien la forĂŞt que le dĂ©sert, et parce que la coopĂ©ration militaire entre le Niger et le Burkina fonctionne mieux que celle entre le Mali et le Burkina (voir la section III. C.), ils ont Ă©chouĂ©. Leur Ă©chec est aussi dĂ» au fait que, contrairement Ă  celles du Soum, les sociĂ©tĂ©s qui peuplent l’Est et l’Ouest du Burkina sont plus stables et ne sont pas prĂŞtes Ă  entrer en guerre.[fn]Entretiens de Crisis Group, sources sĂ©curitaires, Ouagadougou, janvier 2017. Al-Mourabitoune est nĂ© d’une alliance entre la Brigade des EnturbannĂ©s, une dissidence d’al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) menĂ©e par Mokhtar Belmokhtar, et une partie du Mouvement pour l’unicitĂ© et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) en 2013. Fin 2015, al-Mourabitoune rejoint AQMI et en 2017, les deux groupes s’allient Ă  d’autres pour former le Groupe de soutien Ă  l’islam et aux musulmans (GSIM). Voir Marc MĂ©mier, « AQMI et Al-Mourabitoun, le djihad sahĂ©lien rĂ©unifiĂ© ? Â», Etudes de l’Institut français des relations internationales (Ifri), janvier 2017.Hide Footnote

Il est faux de percevoir la situation dans le Nord du Burkina comme une extension du conflit malien, même si celui-ci rend plus disponibles les armes de guerre et offre une base de repli aux hommes d’Ansarul Islam. La crise dans le Soum n’est pas le simple miroir de la situation au centre du Mali. Elle relève avant tout d’une forte dynamique endogène. Plusieurs facteurs de vulnérabilité expliquent pourquoi cette province est, de loin, la plus affectée du Burkina Faso.

L’absence d’un contre-discours et l’affaiblissement des responsables religieux et coutumiers permettent à la rhétorique de Malam de gagner du terrain.

Dans le Soum, les autorités coutumières et religieuses ne se sont pas autant impliquées dans la lutte contre le radicalisme.[fn]Entretiens de Crisis Group, représentants politiques, Djibo, mai 2017.Hide Footnote Contrairement à la province voisine du Séno, le Soum comprend moins d’intellectuels et d’érudits musulmans capables de combattre les idées qui encouragent la violence ou l’intolérance.[fn]Entretiens de Crisis Group, historien, source sécuritaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote L’absence d’un pouvoir coutumier central, les fortes rivalités entre les trois chefferies (Djibo, Baraboulé et Tongomayel) et leur politisation compliquent davantage leur rôle.[fn]Le frère de l’émir de Djibo est le député-maire de la ville, Oumarou Dicko. Entretiens de Crisis Group, ancien fonctionnaire, historien, acteur humanitaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote L’absence d’un contre-discours et l’affaiblissement des responsables religieux et coutumiers permettent à la rhétorique de Malam de gagner du terrain.

La province du Soum souffre particulièrement du manque de dĂ©veloppement et d’infrastructures. En comparaison, Dori, capitale de la province du SĂ©no, a reçu plus d’investissements parce qu’elle est le chef-lieu de la rĂ©gion et que la fĂŞte nationale du 11 DĂ©cembre y a Ă©tĂ© cĂ©lĂ©brĂ©e en 2013. Dori dispose d’un centre hospitalier rĂ©gional, alors que l’enlèvement de Ken Elliot, un mĂ©decin australo-burkinabè rĂ©putĂ©,  en janvier 2016 a rĂ©duit l’offre de soins Ă  Djibo.[fn]Entretiens de Crisis Group, autoritĂ©s locales, Djibo, source sĂ©curitaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Enfin, Djibo est plus proche de la frontière malienne (environ 60 kilomètres) que ne l’est Dori (environ 160 kilomètres). Le Soum manque Ă©galement de figures politiques d’envergure nationale issues de la province, tandis que le SĂ©no a longtemps rayonnĂ© grâce au charisme de l’ancien maire de Dori, feu Hama Arba Diallo.

Des raisons historiques expliquent Ă©galement la vulnĂ©rabilitĂ© de la province du Soum. Le clivage entre Peul et RimaibĂ© y Ă©tant davantage marquĂ© que dans les provinces voisines du SĂ©no et du Yagha, la contestation des inĂ©galitĂ©s sociales y rencontre logiquement un Ă©cho plus important. Les Ă©mirats du SĂ©no et du Yagha Ă©taient plus homogènes que celui du Jelgooji (l’actuel Soum), traversĂ© par des divisions entre familles et chefferies. Dans ces deux Ă©mirats, la pĂ©nĂ©tration plus ancienne de l’islam lui permet de mieux rĂ©sister aux influences extĂ©rieures.[fn]Entretien de Crisis Group, historien, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote La gĂ©ographie compte Ă©galement : il est plus difficile de se cacher dans les grandes plaines du SĂ©no et du Yagha que dans la forĂŞt situĂ©e entre Djibo et la frontière malienne. Enfin, la prĂ©valence de l’animisme Ă  l’Est et Ă  l’Ouest du Burkina, alors que la rĂ©gion du Sahel est islamisĂ©e Ă  95 pour cent, peut Ă©galement expliquer pourquoi un discours qui utilise l’islam comme outil de contestation trouve davantage d’écho dans le Sahel burkinabè.

III. Un effort militaire considérable

Fin 2016 et dĂ©but 2017, les attaques dans la province du Soum se sont multipliĂ©es, au point que l’Etat semblait en passe de perdre une partie du Nord. Depuis le printemps 2017, les forces de sĂ©curitĂ© ont amorcĂ© une reprise en main, mais la menace n’a pas Ă©tĂ© Ă©radiquĂ©e, comme le montre la persistance des assassinats ciblĂ©s et la multiplication des attaques (voir la chronologie en annexe C). La lente et difficile recomposition de l’appareil sĂ©curitaire Ă  la suite de la chute du rĂ©gime CompaorĂ© explique les difficultĂ©s Ă  fournir une rĂ©ponse adĂ©quate. Le renforcement de la coopĂ©ration rĂ©gionale est un Ă©lĂ©ment essentiel de cette rĂ©ponse.

A. Le Sahel burkinabè sous la menace

Au printemps 2017, le renforcement de la prĂ©sence militaire au Nord et les opĂ©rations menĂ©es avec le Mali et les forces françaises de l’opĂ©ration Barkhane permettent Ă  l’armĂ©e burkinabè de reprendre l’ascendant et de rassurer quelque peu les populations.[fn]Le Groupement des forces anti-terroristes (GFAT), devenu le Groupement des forces de sĂ©curisation du Nord (GFSN), passe de 500 Ă  1 600 hommes. Les opĂ©rations Panga (Burkina, Mali, Barkhane) et Bayard (Barkhane) dĂ©truisent d’importants dĂ©pĂ´ts logistiques dans la forĂŞt de FoulsarĂ© et conduisent Ă  des arrestations. Entretiens de Crisis Group, diplomates, sources sĂ©curitaires, acteur humanitaire, habitant du Soum, Ouagadougou, mai 2017 ; Ă©lu local, responsable religieux, Djibo, mai 2017. L’OpĂ©ration Barkhane, composĂ©e de 4 000 militaires français, succède Ă  l’opĂ©ration Serval en juillet 2014. BasĂ©e Ă  N’Djamena, au Tchad, elle lutte contre les groupes armĂ©s terroristes dans la bande saharo-sahĂ©lienne.Hide Footnote Les visites dans la rĂ©gion de plusieurs ministres envoient un signal fort que l’Etat ne se retire pas. MĂŞme l’opposition reconnait des « avancĂ©es dans la lutte contre le terrorisme Â».[fn]Entretien de Crisis Group, membre de l’opposition, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Mais il n’est pas Ă©vident pour les forces de sĂ©curitĂ© de maintenir la pression et d’inscrire leur prĂ©sence dans la durĂ©e.[fn]Une source sĂ©curitaire affirme que « l’on sera dans ce bourbier pendant un bout de temps Â», tandis qu’une autre reconnait que « l’on a beaucoup Ă  faire Â». Entretiens de Crisis Group, sources sĂ©curitaires, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote La saison des pluies, qui entre juillet et octobre rend les routes impraticables et isole les populations, n’a pas entrainĂ© l’accalmie que certains observateurs attendaient.

Il ne faut pas sous-estimer la capacitĂ© des groupes jihadistes Ă  se reconstituer, Ă  remplacer un chef dĂ©funt et Ă  Ă©laborer de nouvelles stratĂ©gies et de nouveaux modes d’action.[fn]Entretien de Crisis Group, source sĂ©curitaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote MĂŞme si Ansarul Islam est affaibli, il peut encore disposer d’un vivier de recrutement. Les membres restants pourraient ĂŞtre encore plus dĂ©terminĂ©s. La possible mort de leur fondateur pourrait les galvaniser, les rendre plus violents et moins enclins au compromis. « Il faut faire attention Ă  la façon dont on tue le monstre Â», comme le dit une source sĂ©curitaire.[fn]Entretien de Crisis Group, source sĂ©curitaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote La peur et la menace demeurent, comme le montrent la multiplication des assassinats ciblĂ©s et des attaques, avec un mode d’action inĂ©dit au Burkina : l’usage d’engins explosifs improvisĂ©s, utilisĂ©s pour la première fois en aoĂ»t 2017.[fn]Certains des individus assassinĂ©s en juillet Ă©taient membres d’Ansarul Islam et recherchĂ©s par les forces de sĂ©curitĂ©. « Meurtres dans le nord du Burkina : Ansarul Islam victime d’une guerre intestine ? Â», Radio France Internationale (RFI), 26 juillet 2017. « Burkina : Un vĂ©hicule de l’armĂ©e saute sur un engin explosif dans le Soum Â», Burkina 24, 23 septembre 2017.Hide Footnote

En outre, les effectifs supplémentaires envoyés dans le Soum sont autant de soldats en moins pour protéger les autres régions, et les attaques pourraient donc se déplacer. Les enlèvements de fonctionnaires en mai 2017 dans l’Oudalan et les attaques contre deux postes de gendarmerie à l’Ouest (Djibasso et Toéni) en septembre 2017 pourraient indiquer que la menace se déplace, ou que de nouveaux groupes pourraient profiter du fait que toute l’attention est concentrée sur le Soum pour frapper ailleurs.[fn]Le manque d’effectifs sera atténué par le retour du bataillon (environ 850 hommes) envoyé au Darfour. Entretiens de Crisis Group, diplomates, source sécuritaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote

Ansarul Islam est Ă  la fois un mouvement local et un groupe qui entretient des liens, certes troubles, avec les jihadistes actifs dans le Sahel.

Ansarul Islam est Ă  la fois un mouvement local et un groupe qui entretient des liens, certes troubles, avec les jihadistes actifs dans le Sahel. Si Malam est (ou Ă©tait) proche d’Hamadoun Kouffa, ses liens avec la nouvelle coalition affiliĂ©e Ă  al-Qaeda et dirigĂ©e par Iyad ag Ghali, le Jamaat Nosrat al-Islam wal Muslimin, (Groupe de soutien Ă  l’islam et aux musulmans, GSIM), ne sont pas clairs. Certaines sources affirment qu’il aurait dĂ©savouĂ© cette alliance, d’autres estiment que le GSIM n’aurait pas voulu de lui, car il n’était pas assez puissant.[fn]Entretien de Crisis Group, source sĂ©curitaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Il y aurait eu des divergences entre Kouffa et Malam, parce que le premier aurait Ă©tĂ© jaloux de la montĂ©e en puissance de son « petit Â», et qu’il aurait dĂ©sapprouvĂ© les assassinats d’anciens camarades de Malam au nom de l’interdiction de tuer des musulmans.[fn]Entretiens de Crisis Group, sources sĂ©curitaires, diplomates, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Une publication par une page Facebook attribuĂ©e Ă  Ansarul Islam le 12 septembre 2017, dans laquelle Ansarul Islam dĂ©nonce la mort de musulmans dans l’attentat de Ouagadougou de mi-aoĂ»t 2017, laisse suggĂ©rer de fortes divergences entre Ansarul Islam et le GSIM. Cette information doit cependant ĂŞtre prise avec prĂ©caution, la page Facebook n’ayant pas Ă©tĂ© authentifiĂ©e.

Au dĂ©but de l’annĂ©e 2017, Malam semblait se rapprocher de l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), avec lequel il aurait menĂ© l’attaque de Nassoumbou.[fn]Entretiens de Crisis Group, sources sĂ©curitaires, Ouagadougou, janvier et mai 2017.Hide Footnote Mais Ansarul Islam utilise le centre du Mali comme base arrière et doit nĂ©cessairement avoir des liens avec les groupes qui opèrent dans cette rĂ©gion.[fn]Entretien de Crisis Group, source sĂ©curitaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Il est possible qu’Ansarul Islam Ă©volue entre les deux pĂ´les que sont le GSIM et l’EIGS, sans avoir fait de choix clair.

Ansarul Islam revendique rarement ses attaques et ne dispose pas d’un canal officiel de communication. Il est difficile de lui attribuer tous les incidents sĂ©curitaires dans la rĂ©gion du Sahel. Le groupe n’a pas l’apanage de la violence. Banditisme et criminalitĂ© affectent Ă©galement la rĂ©gion. L’insĂ©curitĂ© est exacerbĂ©e par la circulation d’armes lĂ©gères provenant de l’AlgĂ©rie, de la Libye et du Mali, favorisĂ©e par les trafics qui transitent entre autres par Boulikessi, localitĂ© malienne proche de la frontière.[fn]Entretien de Crisis Group, ancien fonctionnaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote La somme de 300 000 francs CFA ou deux gĂ©nisses permettent d’acquĂ©rir une kalachnikov.[fn]Entretiens de Crisis Group, Ă©lus locaux, Djibo, mai 2017.Hide Footnote

La prĂ©sence des Koglweogo, groupes d’autodĂ©fense villageois prĂ©sents dans de nombreuses localitĂ©s du pays afin de lutter contre le banditisme, l’insĂ©curitĂ© et le vol de bĂ©tail, suscite des craintes. Lorsqu’ils sont composĂ©s de natifs des villages oĂą ils opèrent, leur prĂ©sence ne semble pas poser de problèmes.[fn]Il s’agit par exemple des localitĂ©s de Pobe Mengao, Aribinda et Tongomayel. Entretien de Crisis Group, autoritĂ© coutumière, Djibo, mai 2017. CrĂ©Ă©s dans les annĂ©es 1990 pour protĂ©ger l’environnement, les Koglweogo sont aujourd’hui des groupes d’autodĂ©fense qui luttent contre l’insĂ©curitĂ© et le banditisme. Depuis 2015, ils se sont multipliĂ©s et rĂ©pandus principalement au centre, dans la rĂ©gion Nord, au Sud et Ă  l’Est du Burkina.Hide Footnote Mais des Koglweogo provenant d’autres rĂ©gions du Burkina ont Ă©tĂ© chassĂ©s de KerboulĂ© (une localitĂ© qui abrite un site d’orpaillage Ă  60 kilomètres de Djibo) par des hommes armĂ©s (possiblement liĂ©s Ă  Ansarul Islam).[fn]Entretiens de Crisis Group, autoritĂ©s locales, Ă©lu local, Djibo, source sĂ©curitaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Des affrontements entre Koglweogo et autres groupes armĂ©s ne sont pas Ă  exclure. L’existence des Ruga, groupes d’éleveurs peul armĂ©s de fusils de chasse chargĂ©s de retrouver les troupeaux Ă©garĂ©s ou volĂ©s, pourrait complexifier cette Ă©quation sĂ©curitaire, mĂŞme si rien ne permet pour l’instant de dire qu’ils constituent un risque particulier.[fn]D’après une source sĂ©curitaire, des membres des Ruga auraient Ă©tĂ© arrĂŞtĂ©s lors des opĂ©rations menĂ©es au printemps 2017. Entretien tĂ©lĂ©phonique de Crisis Group, source sĂ©curitaire, juin 2017.Hide Footnote According to one security source, members of the Ruga were arrested during the operations conducted in spring 2017. Crisis Group telephone interview, security source, June 2017.Hide Footnote

B. Un appareil sécuritaire en recomposition

Les troubles politiques qu’a connus le Burkina depuis la chute de Blaise CompaorĂ© en octobre 2014 ont dĂ©sorganisĂ© l’appareil sĂ©curitaire. La diplomatie CompaorĂ© permettait de contenir de nombreux groupes armĂ©s hors du territoire burkinabè en faisant preuve de bienveillance Ă  l’égard de certains d’entre eux. Le système de renseignement reposait davantage sur des hommes et leurs rĂ©seaux que sur des institutions. CrĂ©Ă©e en octobre 2015, l’Agence nationale du renseignement (ANR) est une « grosse machine [qui] n’a pas encore vraiment dĂ©marrĂ© Â», mĂŞme si elle a commencĂ© Ă  centraliser le renseignement.[fn]Entretien de Crisis Group, source sĂ©curitaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Le dĂ©mantèlement du RĂ©giment de sĂ©curitĂ© prĂ©sidentielle (RSP), unitĂ© privilĂ©giĂ©e de l’armĂ©e sous CompaorĂ©, a Ă©galement dĂ©stabilisĂ© l’appareil sĂ©curitaire.[fn]Les armes dont le RSP disposait n’ont pas toujours Ă©tĂ© correctement redistribuĂ©es. Une source sĂ©curitaire raconte que lors de l’attentat de Ouagadougou en janvier 2016, les forces de sĂ©curitĂ© burkinabè n’ont pas pu lancer l’assaut dans l’hĂ´tel Splendid notamment car elles ne disposaient pas de lunettes de vision nocturne. Celles dont disposait le RSP ont Ă©tĂ© entreposĂ©es au lieu d’être distribuĂ©es aux unitĂ©s qui en ont besoin. Entretien de Crisis Group, source sĂ©curitaire, Ouagadougou, janvier 2016.Hide Footnote

A long terme, le principal dĂ©fi pour les forces de sĂ©curitĂ© burkinabè est de s’adapter aux nouvelles menaces. La guerre asymĂ©trique contre des groupes armĂ©s non Ă©tatiques requiert des moyens et des stratĂ©gies bien diffĂ©rentes de la guerre conventionnelle. Les forces de sĂ©curitĂ© sont davantage habituĂ©es Ă  rester dans les casernes qu’à aller au combat, le Burkina n’ayant jamais menĂ© de guerre contre un autre pays (Ă  part les deux brefs Ă©pisodes de conflit armĂ© avec le Mali en 1974 et 1985), ni connu de conflit civil. Favoriser une culture de combat et de sacrifice, aux antipodes d’une « armĂ©e d’apparat Â», prendra forcĂ©ment du temps.[fn]Entretien de Crisis Group, diplomate, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Les soldats burkinabè ont toutefois l’expĂ©rience du combat lors de dĂ©ploiements en opĂ©rations extĂ©rieures dans des terrains parfois difficiles (Darfour, Nord-Mali).

Tant que les forces armées n’infiltrent pas les populations, comme le font les groupes jihadistes, ces derniers conserveront un avantage.

Deux Ă©lĂ©ments qui font dĂ©faut et sont indispensables Ă  la lutte contre les groupes armĂ©s sont les moyens aĂ©riens et le renseignement. Les avions de reconnaissance burkinabè, non armĂ©s, peuvent seulement signaler une menace ; dans une zone reculĂ©e, il faudra plusieurs heures de route pour atteindre le lieu donnĂ©. Des hĂ©licoptères de combat sont Ă©galement nĂ©cessaires. Mais au-delĂ  de l’équipement, c’est surtout la formation qui est indispensable. Plus simplement, les forces armĂ©es dĂ©ployĂ©es au Nord manquent de motos afin de pouvoir circuler en brousse avec la mĂŞme aisance que leurs ennemis. Le renseignement humain, quant Ă  lui, fait encore dĂ©faut. Tant que les forces armĂ©es n’infiltrent pas les populations, comme le font les groupes jihadistes, ces derniers conserveront un avantage.[fn]Entretiens de Crisis Group, acteur humanitaire, sources sĂ©curitaires, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote

En outre, les forces de sĂ©curitĂ© burkinabè souffrent de problèmes plus anciens. Le clivage gĂ©nĂ©rationnel nuit Ă  la cohĂ©sion : la troupe, jeune et mĂ©contente de ses conditions matĂ©rielles, perçoit la hiĂ©rarchie comme ayant Ă©tĂ© compromise sous l’ancien rĂ©gime, peu motivĂ©e pour sortir des bureaux climatisĂ©s et incapable de s’adapter aux nouvelles menaces. Les jeunes sous-officiers dĂ©plorent la faiblesse de la communication de l’état-major et son usage limitĂ© des nouvelles technologies, alors que la communication est un Ă©lĂ©ment clĂ© de la lutte contre le terrorisme.[fn]Entretien de Crisis Group, source sĂ©curitaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote

La gestion des ressources humaines est une autre faiblesse : les officiers d’administration ne sont pas assez nombreux, les compĂ©tences manquent, crĂ©ant des frustrations notamment en matière d’avancement.[fn]Entretiens de Crisis Group, source sĂ©curitaire, Ouagadougou, janvier et mai 2017.Hide Footnote La pyramide des grades est inversĂ©e : l’armĂ©e compte trop de colonels-majors et pas assez de sous-officiers.[fn]Entretien de Crisis Group, diplomate, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Enfin, la rivalitĂ© historique entre police et gendarmerie nuit Ă  leur efficacitĂ©. Ces deux corps sont dĂ©ployĂ©s Ă  la fois en milieux urbains et ruraux et leurs tâches se chevauchent.[fn]Entretiens de Crisis Group, sources sĂ©curitaires, Ouagadougou, janvier 2016, janvier et mai 2017. Les tensions entre policiers et gendarmes au sein du Groupement de sĂ©curitĂ© et de protection rĂ©publicaine (GSPR), chargĂ© de la sĂ©curitĂ© prĂ©sidentielle, illustrent cette mĂ©fiance. « Burkina Faso : tensions entre policiers et gendarmes de la garde prĂ©sidentielle Â», Africa News, 7 aoĂ»t 2017.Hide Footnote Toutes ces dĂ©faillances, qui devront ĂŞtre rĂ©glĂ©es dans le cadre de la rĂ©forme du secteur de la sĂ©curitĂ©, expliquent en partie la difficultĂ© qu’éprouvent les forces de sĂ©curitĂ© burkinabè Ă  lutter efficacement contre Ansarul Islam.

C. La coopération régionale et internationale

S’adapter aux menaces transfrontalières implique de renforcer la coopĂ©ration rĂ©gionale et internationale. S’ils reconnaissent tous que l’aide de la France est indispensable, les militaires burkinabè souhaitent « se dĂ©brouiller seuls Â», car « personne ne va mourir Ă  [leur] place Â».[fn]Entretiens de Crisis Group, sources sĂ©curitaires, Ouagadougou, janvier et mai 2017.Hide Footnote Une partie de l’opinion publique Ă©prouve un sentiment de mĂ©fiance Ă  l’égard de la France. Certains l’accusent de mener un double jeu vis-Ă -vis des groupes armĂ©s, notamment les Touareg du Nord-Mali. Il en rĂ©sulte une volontĂ© de diversifier les partenariats, en se tournant vers les Etats-Unis, l’Allemagne, la Russie ou l’Europe de l’Est.

La coopĂ©ration rĂ©gionale avec le Mali et le Niger a Ă©tĂ© renforcĂ©e. S’il a enfin Ă©tĂ© formalisĂ©, le droit de poursuite peut poser problème en raison d’une communication parfois dĂ©faillante et de risques d’accrochage entre les armĂ©es.[fn]La règle non Ă©crite veut que l’armĂ©e voisine ne dĂ©passe pas un rayon de 40 kilomètres au-delĂ  de la frontière. Entretiens de Crisis Group, sources sĂ©curitaires, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Les pays de la rĂ©gion, encouragĂ©s par la France, tentent surtout de renforcer la coopĂ©ration rĂ©gionale Ă  travers le projet de force conjointe du G5 Sahel (Burkina, Mali, Niger, Tchad, Mauritanie). Cette force suscite cependant peu d’engouement de la part des officiers burkinabè. Il s’agit essentiellement de « rĂ©unions Ă  n’en plus finir Â», selon une source sĂ©curitaire.[fn]Entretien de Crisis Group, source sĂ©curitaire, Ouagadougou, mai 2017. Le projet de force conjointe du G5 Sahel a vu le jour officiellement lors du sommet de Bamako dĂ©but fĂ©vrier 2017. Elle aura pour objectif de combattre l’insĂ©curitĂ© et les groupes terroristes dans le Sahel. Les cinq pays du G5 fourniront chacun 1 000 hommes, dĂ©ployĂ©s autour de trois zones frontalières : Mali-Mauritanie, Mali-Burkina-Niger et Tchad-Niger. Le G5, qui existe depuis 2014, vise Ă  fournir une rĂ©ponse rĂ©gionale Ă  un problème rĂ©gional et Ă  « africaniser Â» la sĂ©curitĂ©.Hide Footnote Les Burkinabè estiment que le Tchad et la Mauritanie sont trop loin pour ĂŞtre concernĂ©s par les mĂŞmes menaces.[fn]Entretiens de Crisis Group, sources sĂ©curitaires, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote En outre, le financement de la force n’est pas encore sĂ©curisĂ©.[fn]Entretien de Crisis Group, diplomate, Ouagadougou, mai 2017. Le chiffre avancĂ© pour le budget de la force conjointe est de 423 millions d’euros, mais cette estimation pourrait ĂŞtre revue Ă  la baisse. Entretien de Crisis Group, source diplomatique, Paris, juillet 2017. L’Union europĂ©enne a promis 50 millions d’euros et les membres du G5 se sont engagĂ©s Ă  fournir 10 millions chacun. En plus d’aide opĂ©rationnelle et technique, la France a promis 8 millions d’euros.Hide Footnote

La dynamique tripartite Burkina-Mali-Niger, qui se dessine avec le projet de déploiement d’une des trois composantes de la force du G5 dans la zone des trois frontières, appelée Liptako-Gourma, suscite quant à elle davantage d’optimisme. Les Burkinabè considèrent qu’il est plus efficace de travailler à trois qu’à cinq. La force sera déployée dans le Liptako-Gourma mais n’atteindra pas la province du Soum, qui reste un problème burkinabo-malien.[fn]Entretiens de Crisis Group, sources sécuritaires, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Crisis Group interviews, security sources, Ouagadougou, May 2017.Hide Footnote

La création de la force conjointe du G5 pose la question de la coordination avec la Minusma.

Par ailleurs, les militaires burkinabè sont sceptiques quant Ă  l’efficacitĂ© de la mission onusienne au Mali, la Minusma, car ils considèrent que son mandat est inadĂ©quat.[fn]Entretiens de Crisis Group, sources sĂ©curitaires, Ouagadougou, septembre 2016, janvier et mai 2017. La rĂ©solution 2359 (21 juin 2017) du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies soutenant la crĂ©ation de la force conjointe du G5 prĂ©voit que celle-ci amĂ©liorera l’environnement sĂ©curitaire afin de permettre Ă  la Minusma de mieux remplir son mandat. La rĂ©solution 2364 (29 juin 2017) prolongeant le mandat de la Minusma prĂ©voit coopĂ©ration, coordination et partage d’informations entre la force du G5 et la mission onusienne.Hide Footnote La crĂ©ation de la force conjointe du G5 pose la question de la coordination avec la Minusma, qui compte dĂ©jĂ  plus de 15 000 soldats et policiers et coĂ»te près d’un milliard de dollars par an. Cela fait courir le risque d’un enchevĂŞtrement complexe de forces militaires qui limiterait leur efficacitĂ©. En outre, le mandat de la force conjointe, ciblant « les groupes terroristes Â» et « d’autres groupes criminels organisĂ©s Â», reste flou, ce qui lui compliquerait davantage la tâche.

La coopĂ©ration ne se passe pas aussi bien avec le Mali qu’avec le Niger. Il existe dans les milieux sĂ©curitaires burkinabè un sentiment d’agacement envers le voisin malien, qu’ils accusent de ne pas lutter assez efficacement contre les groupes armĂ©s actifs sur son territoire, entrainant des dĂ©bordements cĂ´tĂ© burkinabè.[fn]Ibid.Hide Footnote Une source sĂ©curitaire dĂ©plore la prĂ©sence de certains groupes armĂ©s proches ou soutenus par Bamako aux frontières du Burkina.[fn]Entretien de Crisis Group, source sĂ©curitaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Les relations difficiles entre le Burkina et le Mali datent de l’ère CompaorĂ©, lorsque des membres de groupes armĂ©s maliens, Ă  commencer par le chef d’Ansar Dine, le Touareg Iyad ag Ghali, circulaient librement Ă  Ouagadougou. En outre, les militaires burkinabè voient leurs homologues maliens comme des « flemmards Â» qui ont intĂ©grĂ© l’armĂ©e pour obtenir une rente et non pour dĂ©fendre le pays.[fn]Entretiens de Crisis Group, sources sĂ©curitaires, Ouagadougou, janvier et mai 2017.Hide Footnote A l’inverse, le Niger est perçu positivement, car il dĂ©ploie les moyens nĂ©cessaires pour empĂŞcher les groupes armĂ©s de prolifĂ©rer sur son territoire, et les militaires burkinabè font l’éloge de leurs homologues nigĂ©riens pour leur volontarisme et leur efficacitĂ©.[fn]Entretiens de Crisis Group, sources sĂ©curitaires, Ouagadougou, mai 2017. La bonne entente entre le Burkina et le Niger repose Ă©galement sur les liens privilĂ©giĂ©s qu’entretenaient le prĂ©sident nigĂ©rien Mahamadou Issoufou et le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale burkinabè, Salif Diallo, dĂ©cĂ©dĂ© fin aoĂ»t 2017.Hide Footnote Crisis Group interviews, security sources, Ouagadougou, May 2017. The good understanding between Burkina and Niger is also based on the special relationship between the Nigerien president, Mahamadou Issoufou, and the president of the Burkina National Assembly, Salif Diallo, who died at the end of August 2017.Hide Footnote

IV. Apporter une réponse globale et durable

Après des mois de dĂ©ni, les autoritĂ©s burkinabè ont finalement pris conscience, dĂ©but 2017, de la nĂ©cessitĂ© d’aller au-delĂ  de l’action militaire et d’apporter une rĂ©ponse globale Ă  la crise. Celle-ci se matĂ©rialise notamment par le lancement d’un programme de dĂ©veloppement d’urgence pour la rĂ©gion du Sahel visant Ă  construire des infrastructures et Ă  rĂ©duire la pauvretĂ©. Les efforts de dĂ©veloppement ne suffiront toutefois pas Ă  rĂ©soudre une crise dont les racines, très locales, sont ancrĂ©es dans l’ordre social propre Ă  la sociĂ©tĂ© peul de la province du Soum. Plusieurs Ă©lĂ©ments peuvent ĂŞtre mieux pris en compte afin de renforcer cette rĂ©ponse.

La réponse apportée par le gouvernement doit tenir compte des dimensions sociales et locales de la crise. L’idéologie d’Ansarul Islam repose sur la contestation d’une organisation sociale productrice de frustrations et de conflits. L’Etat n’a cependant pas vocation à s’impliquer dans ces dynamiques socio-culturelles ou à bouleverser des équilibres sociaux anciens. Il faut peut-être mobiliser davantage les acteurs locaux pour trouver des solutions adaptées à une crise profondément enracinée dans des dynamiques locales. L’Etat et les partenaires internationaux ne trouveront pas les solutions à des questions qui touchent à l’intimité des sociétés du Nord du Burkina Faso. Ils peuvent au mieux stimuler des initiatives de dialogue entre communautés et générations afin de permettre à ces dernières de trouver des solutions à leur propre crise.

Il importe de réduire le fossé entre, d’une part, les forces de sécurité et les autorités et, d’autre part, la population. Le renforcement de la présence militaire ne sera pas véritablement efficace tant que les populations ne collaboreront pas avec les forces de sécurité. A court terme, ces dernières devraient privilégier le renseignement humain et s’imbriquer au sein de la population, par exemple en rémunérant davantage d’individus et d’unités équipés de téléphones mobiles pour qu’ils puissent communiquer des informations, tout en prêtant une attention particulière à leur protection.[fn]Entretiens de Crisis Group, sources sécuritaires, Ouagadougou, janvier et mai 2017.Hide Footnote L’envoi de troupes et de fonctionnaires parlant le fulfuldé (la langue peul) permettrait également de réduire la barrière linguistique.

A long terme, la méfiance pourrait être atténuée si davantage de Peul étaient recrutés au sein des forces de sécurité et de la fonction publique. Il ne s’agit pas d’imposer des quotas ou de mener une politique de discrimination positive, porteuse des dangers de l’ethnicisme, mais d’encourager l’engagement par exemple en rendant plus accessibles les concours d’entrée, sans oublier la vocation traditionnellement limitée des Peul à intégrer les forces de sécurité ou la fonction publique.[fn]Entretien de Crisis Group, source sécuritaire, Ouagadougou, mai 2017. Un résident du Soum qui souhaite passer le concours d’entrée de l’armée ou de la gendarmerie devra se rendre respectivement à Dori ou à Kaya, deux villes situées chacune à environ 200 kilomètres de piste de Djibo.Hide Footnote Crisis Group interview, security source, Ouagadougou, May 2017. A resident of Soum who wants to enter the entrance examinations for the army or the gendarmerie must go to Dori or Kaya respectively, both of which are located about 200km from Djibo.Hide Footnote

Renforcer les activités civilo-militaires permettrait de mettre à contribution les forces de sécurité et de réduire un peu la méfiance de la population en montrant qu’elles peuvent être utiles.

Renforcer les activités civilo-militaires permettrait de mettre à contribution les forces de sécurité et de réduire un peu la méfiance de la population en montrant qu’elles peuvent être utiles.[fn]Entretien de Crisis Group, source sécuritaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote Enfin, les arrestations doivent respecter les procédures et les droits, et les comportements abusifs des forces de sécurité et des fonctionnaires – racket, intimidations, arrestations arbitraires, abus physiques – doivent être plus sévèrement sanctionnés.

Une régulation à minima du discours religieux, dans laquelle les autorités religieuses et coutumières pourraient jouer un rôle clé, peut être envisagée afin de lutter contre les propos intolérants et haineux. Ceci nécessite d’améliorer la connaissance du paysage religieux afin de lutter contre de tels propos, de soutenir davantage l’enseignement islamique et d’investir dans la formation des imams et des érudits musulmans afin de leur fournir les outils pour combattre les idées qui encouragent la violence ou l’intolérance. La légitimité des religieux et des coutumiers étant parfois contestée, l’enjeu est également de s’assurer que leur représentativité soit suffisante, qu’ils ne soient pas perçus comme ayant été compromis ou étant à la solde de l’Etat, et que la jeunesse sente que ses intérêts y sont défendus. Les autorités étatiques pourraient favoriser l’installation à Djibo d’une section de l’Union fraternelle des croyants, une association basée à Dori chargée de promouvoir la tolérance et le dialogue religieux.

Le programme d’urgence pour la rĂ©gion du Sahel devrait mettre davantage l’accent sur la promotion de l’élevage, l’amĂ©lioration de la justice et la lutte contre la corruption.[fn]« Programme d’urgence pour le Sahel au Burkina Faso (PUS-BF), 2017-2020 Â», document final, juin 2017, copie fournie Ă  Crisis Group.Hide Footnote La perception que l’Etat ne fait rien pour soutenir l’élevage, la principale activitĂ© Ă©conomique de la rĂ©gion, renforce le sentiment d’aliĂ©nation.[fn]Le sentiment que l’élevage contribue pour beaucoup au PIB mais qu’il est le parent pauvre des politiques de dĂ©veloppement est rĂ©pandu dans tout le Burkina (et dans d’autres pays voisins d’ailleurs). Entretiens de Crisis Group, reprĂ©sentants peul, Ouagadougou, octobre 2016.Hide Footnote Les Ă©leveurs Ă©tant majoritairement peul, ce sentiment pourrait prendre une connotation ethnique. Il faudrait par exemple accroitre les zones de pâturage et le nombre de puits et mieux valoriser les pistes Ă  bĂ©tail.[fn]Entretien de Crisis Group, responsable religieux, Djibo, mai 2017.Hide Footnote Les infrastructures doivent Ă©galement ĂŞtre au cĹ“ur des politiques de dĂ©veloppement. Par exemple, la crĂ©ation d’un hĂ´pital rĂ©gional Ă  Djibo, sur le modèle de celui de Dori, renforcerait l’offre de soins dans la capitale provinciale. Les dĂ©faillances de la justice et la corruption au sein de l’administration sont des dolĂ©ances frĂ©quemment exprimĂ©es par la population. Mieux prendre en compte ces deux aspects enverrait Ă©galement le signal que l’Etat peut jouer un rĂ´le utile et positif sur la vie quotidienne des habitants du Sahel burkinabè.

La coopération judiciaire et policière entre le Mali et le Burkina devrait être renforcée, afin que les autorités de ces pays soient systématiquement informées lorsque l’un de leurs ressortissants est arrêté dans l’autre pays.[fn]Entretiens de Crisis Group, sources sécuritaires, Ouagadougou, janvier et mai 2017.Hide Footnote Il ne suffit pas d’arrêter les membres des groupes jihadistes, il faut également mener des enquêtes à travers plusieurs pays puis les faire comparaitre devant la justice. L’enjeu de cette coopération est de les empêcher d’exploiter le manque de coordination entre pays pour passer entre les mailles du filet. Si la coopération policière s’est améliorée, beaucoup de progrès restent à faire en matière judiciaire.[fn]Entretien de Crisis Group, source sécuritaire, Ouagadougou, mai 2017.Hide Footnote

Par ailleurs, les forces de sécurité déployées au Nord ont urgemment besoin de motos supplémentaires afin de se déplacer plus aisément en brousse, et de meilleurs moyens de communication afin de faire circuler l’information. Les forces armées burkinabè pourraient aussi mieux communiquer auprès de l’opinion publique nationale sur les progrès accomplis.

V. Conclusion

Il est encore trop tôt pour évaluer l’efficacité à long terme de la réponse mise en œuvre par le gouvernement. Mais, déjà, l’accalmie attendue en raison de la saison des pluies (de juillet à octobre), qui aurait dû entraver les déplacements et réduire les attaques, ne s’est pas produite. Plusieurs nouvelles attaques meurtrières se sont déroulées au Nord du Burkina en juillet, août et septembre. L’affaiblissement de ce groupe armé ou le décès de son fondateur ne suffiront pas à régler la crise sécuritaire et sociale du Nord du Burkina. Celle-ci perdurera tant que les causes profondes qui ont permis son essor existeront, et avec elles la possibilité d’une extension de la crise à d’autres provinces.

Ouagadougou/Dakar, 12 octobre 2017

Annexe A : Carte du Burkina Faso

Attaques des groupes extremistes au Burkina Faso (janvier-septembre 2017) UN OCHA

Annexe B : Carte de la zone frontalière Mali-Burkina Faso

Carte de la zone frontalière Mali-Burkina Faso. CRISIS GROUP

Annexe C : Chronologie des incidents sécuritaires au Burkina Faso depuis 2015

Une chronologie des incidents sécuritaires depuis 2015 est disponible dans la version PDF de ce rapport.

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