L’élection de Diomaye Faye : un séisme sénégalais, des répliques ouest-africaines
L’élection de Diomaye Faye : un séisme sénégalais, des répliques ouest-africaines
Op-Ed / Africa 3 minutes

L’élection de Diomaye Faye : un séisme sénégalais, des répliques ouest-africaines

L’élection de Bassirou Diomaye Faye à la présidence du Sénégal ouvre sans conteste un nouveau chapitre de l’histoire du pays. Mais pas que. Par ses répercussions, le raz-de-marée qui l’a porté au pouvoir pourrait également annoncer un tournant pour la région entière.

Ce texte est une version légèrement révisée de celui publié sur le site de Jeune Afrique le 27 avril 2024.

Il y a encore quelques semaines, l’Afrique de l’Ouest, en particulier les pays de la zone francophone, semblait engluée dans l’opposition entre deux styles de régime politique. D’un côté, des systèmes à façade démocratique dirigés par des élites vieillissantes ayant capturé durablement le pouvoir et souvent incapables de répondre au profond désir de changement des nouvelles générations. De l’autre côté, des régimes militaires imposés à l’issue de putschs peu sanglants ayant largement – mais pas entièrement – balayé les anciennes élites dirigeantes. Si ces nouveaux dirigeants militaires ont suscité un vent d’espoir assez inédit auprès d’une partie des populations, leur bilan socioéconomique et sécuritaire est pourtant jusqu’ici assez maigre. L’aura dont ils bénéficient pourrait s’effriter, d’autant que ces pouvoirs s’engagent volontiers dans une répression brutale de toute opposition.

Deux impasses, une troisième voie

Le fossé entre ces deux types de régime, démocraties usées d’un côté et autoritarismes militaires de l’autre, s’est élargi ces derniers mois. En août 2023, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a brandi la menace d’une intervention armée pour faire entendre raison aux putschistes qui venaient de renverser le président Mohamed Bazoum à Niamey. La Cedeao n’a finalement pas osé traduire ses menaces en actes mais, en réaction, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont créé en septembre leur propre union des « régimes kaki », l’Alliance des États du Sahel (AES). En janvier 2024, ils ont unilatéralement et simultanément annoncé leur retrait « sans délai » de la Cedeao.

Dans cette région polarisée, où les systèmes politiques oscillent entre Charybde et Scylla, l’élection du président Bassirou Diomaye Faye au Sénégal ouvre la perspective presque inespérée d’une troisième voie. En janvier, le Sénégal a frôlé un dangereux déraillement lorsque le président sortant Macky Sall a annoncé le report des élections présidentielles, ce que l'opposition a vu comme une manœuvre pour prolonger son mandat. Pourtant, la démocratie sénégalaise a non seulement résisté, mais elle a également démontré qu’un processus électoral libre, aux résultats que nul ne songe aujourd’hui à contester, peut répondre à la profonde aspiration au changement.

Lors de l’investiture du président Diomaye Faye, le 2 avril 2024, la salle a applaudi les représentants des régimes militaires et largement boudé les représentants des autres pays ouest-africains, suggérant combien les régimes militaires constituent une forme de réponse, certes surprenante, au désir de changement qui anime toute la région. Il ne faut pourtant pas s’y tromper : l’élection de Diomaye Faye renvoie dos à dos les deux impasses que sont les démocraties usées et les autoritarismes militaires. Elle indique une troisième voie à travers laquelle une démocratie peut incarner le changement, à condition de s’appuyer sur une mobilisation forte des citoyens dans l’espace civique, des institutions politiques consolidées et, surtout, un processus électoral véritablement libre et transparent.

Tout reste encore à faire

Évidemment, cette troisième voie n’est encore qu’un espoir. Pouvoir rajeuni ne rime pas forcément avec progressisme systémique, comme l’atteste la composition du gouvernement sénégalais qui compte fort peu de femmes. Le chemin du changement est également semé d’embûches et l’échec reste possible. Après avoir fait d’aussi nombreuses promesses à la jeunesse, le désenchantement serait alors terrible. Tout reste donc encore à faire pour le nouveau président, son Premier ministre et leur premier gouvernement. Et les Sénégalais auront sans nul doute les yeux braqués sur eux.

Au-delà, c’est toute la région, en quête de nouveaux modèles, qui suivra la manière dont ce pouvoir issu des urnes saura – ou non – incarner un changement désiré partout ailleurs. Les dossiers de dimension nationale ou régionale sont nombreux sur le bureau du nouveau président : lutte effective contre la corruption, partage des ressources et rénovation du lien avec les citoyens, sortie du franc CFA et adoption d’une nouvelle monnaie, recomposition des partenariats… Il y aura, à n’en pas douter, des moments difficiles et des choix tendus.

La gestion délicate de la crise provoquée par le retrait des pays de l’AES de la Cedeao est l’un des premiers grands dossiers sur lequel la diplomatie sénégalaise est attendue. Le président Diomaye Faye a déjà annoncé son ambition de jouer les médiateurs pour ramener les trois pays sahéliens dans le giron de l’organisation régionale, qu’il faudra sans doute également réformer pour qu’elle fonctionne mieux et reflète davantage les aspirations des citoyens ouest-africains. Après plusieurs mois de confrontation entre les deux blocs, c’est un positionnement habile qui, s’il réussit, donnera toute son importance à la diplomatie sénégalaise à un moment clé de l’histoire de la sous-région.

Des gagnants et des perdants

Dans les mois à venir, les partenaires internationaux du Sénégal ne devront pas non plus se tromper. Le changement n’est pas simple, il aura ses gagnants et ses perdants, et s’accompagnera d’une bonne dose d’incertitudes. Dans une région en soif de renouvellement, de trop nombreux partenaires ont privilégié, ces dernières années, l’impératif de sécurité et de stabilité. Cela les a souvent conduits à préserver des ordres politiques pourtant honnis et, dès lors, à subir une grande partie du discrédit qui frappait ces régimes. La perspective d’une troisième voie devrait aussi inspirer ces partenaires internationaux à adopter de nouvelles approches au Sénégal et dans le reste de la région afin, notamment, de ne plus concevoir le Sahel – et plus largement l’Afrique de l’Ouest – comme une litanie de risques, mais comme une série d’opportunités.

Même si le futur de la sous-région reste incertain, la bouffée d’espoir offerte par la démocratie sénégalaise est particulièrement bienvenue. Dans la région, les occasions de se réjouir des dynamiques politiques ont été plutôt rares ces dernières années.

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