Briefing 12 / Latin America & Caribbean 4 minutes

Haïti: sécurité et réintégration de l’État

La violence est le plus grand défi qui se pose au nouveau président René Préval et à la mission de maintien de la paix des Nations unies en Haïti, la MINUSTAH.

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Résumé

La violence est le plus grand défi qui se pose au nouveau président René Préval et à la mission de maintien de la paix des Nations unies en Haïti, la MINUSTAH. La violence et l’impunité, enracinées dans la faiblesse de l’État, sont omniprésentes, en particulier à Port-au-Prince. Le gouvernement haïtien au pouvoir depuis cinq mois doit s’attaquer au problème des gangs armés, réduire le crime international/pouvoir politique qui sévit dans les ports et aux frontières et faire face à la croissance du trafic de drogue et à la multiplication des enlèvements. Cette violence est le fait de bandes armées et de criminels, que l’on trouve jusque dans les rangs de la police nationale d’Haïti (PNH), mais elle est également favorisée par la situation du pays, le plus pauvre du continent américain. Il est essentiel de démanteler ces gangs et de mener à bien une réforme de la police en profondeur pour atteindre tous les objectifs plus généraux que s’est fixés la nouvelle administration, qu’il s’agisse de réforme de l’éducation, d’infrastructure, d’investissement dans le secteur privé, d’emploi, d’agriculture ou de gouvernance.

La perception d’Haïti à l’étranger est surtout celle de la situation à Port-au-Prince. Si les provinces, où vivent quelque 60 pour cent des haïtiens, sont relativement calmes, la presse et les politiciens réagissent aux événements qui ont lieu dans la capitale. Et l’impunité règne toujours à travers l’ensemble du pays. La présence de la PNH est faible et ses hommes sont mal équipés et peu entraînés. Elle n’a la capacité de faire face à aucune des menaces régionales liées à la contrebande (drogue, armes et autres) ou au trafic de personnes, qui passent par les ports et des frontières poreuses. De petits avions vont et viennent pratiquement librement sur des aérodromes de campagne improvisés, chargés de cocaïne colombienne ou d’autres cargaisons illicites.

L’appareil sécuritaire de l’État est une source du problème autant qu’une solution. La PNH, de même que le système judiciaire, doit absolument être réformée. Depuis vingt ans, les donateurs ont initié des projets de réforme de la police et de développement de la justice auxquels ils ont consacré des dizaines de millions de dollars. La constitution de 1987 prévoyait une académie pour la formation des magistrats; l’armée a été dissoute et la PNH instituée en 1995. Aucun de ces efforts n’a permis de dépasser les problèmes que sont la corruption endémique, le clientélisme et la perception de l’État comme un moyen d’enrichissement personnel.

De nouveaux plans ont été élaborés pour restructurer la police et le pouvoir judiciaire: le plan de réforme de la Police nationale d’Haïti et le plan stratégique de réforme de la justice en Haïti. Ceux-ci, en particulier la réforme de la police qui prévoit une enquête de sécurité pour tous les officiers actuellement en service, doivent être lancés officiellement, mis en œuvre de toute urgence et faire l’objet d’un suivi transparent selon un calendrier rigoureux. La réforme de la justice est encore plus complexe, qui exige des modifications constitutionnelles, l’approbation du parlement ou encore, par exemple pour la nomination de nouveaux magistrats, nécessite un appareil de gouvernement local qui n’existe pas encore. Cette réforme est indispensable au succès de la réforme de la police et pour établir un État de droit qui protège les citoyens et qui soit respecté par ceux-ci.

L’un des objectifs des propositions de démantèlement des gangs urbains de Port-au-Prince est la protection des citoyens. Outre la désignation récente de la Commission nationale sur le désarmement, le démantèlement et la réintégration (CNDDR), le gouvernement a mis en place une stratégie en trois parties pour régler les problèmes de la violence engendrée par les gangs et des enlèvements qui ont à plusieurs reprises paralysé la capitale:

  • Depuis le début du mois d’août, la MINUSTAH a mis les gangs en difficulté en imposant leur contrôle sur leurs territoires ainsi que par l’installation de postes de contrôle routiers autour des quartiers populaires.
     
  • Le programme de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) destiné aux membres des gangs a été lié aux projets de développement communautaire et de réduction de la violence dans les communautés conçus afin de créer des emplois, une infrastructure et des services publics visibles et pour soutenir la présence de l’État à Cité Soleil, Bel Air, Martissant et dans d’autres fiefs des groupes armés. Si les membres des gangs refusent de désarmer, ils seront la cible d’unités spéciales de la PNH appuyées par les hommes de la MINUSTAH et par la police des Nations unies, l’UNPOL.
     
  • La CNDDR est chargée de coordonner le désarmement et la stratégie de réduction de la violence et d’améliorer ce qui a été jusqu’à présent un effort consternant de communiquer avec le public.

Avec le soutien de l’UNPOL et de la MINUSTAH, les autorités doivent aussi commencer à démanteler les réseaux qui exploitent l’absence d’application de la loi dans presque tous les ports et aux postes frontières d’Haïti. On estime que, chaque année, entre 100 et 240 millions de dollars de droits de douane et taxes portuaires ne sont pas collectés. Une comptabilité transparente et les revenus tirés de l’utilisation des ports et du passage des frontières pourraient encourager le paiement des taxes et aider à réduire la contrebande et le trafic de drogue. De même, le maintien de l’ordre dans un certain nombre de ports et de postes frontières encouragerait aussi l’investissement direct à l’étranger.

Aucune des réformes nécessaires ne sera menée à bien rapidement: la confiance des citoyens a été profondément endommagée par plus de vingt ans d’une transition démocratique par à-coups et l’État n’est pas davantage perçu comme ayant le monopole de l’emploi légitime de la force (dont devrait jouir tout État) qu’il ne l’a en réalité. Les mesures pratiques que le nouveau gouvernement et la MINUSTAH devraient prendre de toute urgence avec l’aide technique et financière des bailleurs de fonds sont les suivantes:

  • Mettre en œuvre le plan de réforme de la Police nationale d’Haïti et l’assortir d’un calendrier pour mener à bien une enquête de sécurité sur chaque officier et garder, recycler, armer et organiser le tutorat de ceux qui sont innocentés ou renvoyer les autres, tout en permettant à ceux qui ne font l’objet d’aucune inculpation de suivre le programme de recyclage;
     
  • Mettre à jour la base de données et l’enregistrement de tous les officiers de police et de leurs armes et mettre en œuvre des standards de recrutement, de promotion fondée sur le mérite, de développement de carrière ainsi qu’un nouveau code de conduite;
     
  • Construire les 200 commissariats prévus dans le plan de réforme de la police et envisager d’en implanter certains près de cliniques, bureaux d’assistance juridique et sources d’eau potables, où femmes et enfants se rendent régulièrement;
     
  • Reprendre le contrôle physique des docks et des postes frontières et veiller à ce que les droits de douanes et taxes portuaires soient payés à l’État;
     
  • Établir une procédure d’enquête de sécurité viable dans le cadre du plan de réforme de la justice afin d’identifier et renvoyer les magistrats corrompus, créer des chambres spéciales composées de juristes respectés pour traiter les cas les plus graves, et recourir à des panels ad hoc comprenant des conseillers internationaux pour vérifier les conditions de détention préventive; et
     
  • Démanteler les gangs et réduire la violence communautaire en recyclant et en réintégrant dans la société les membres qui remettent leurs armes aux autorités, poursuivre avec un certain degré d’indulgence les chefs qui témoignent contre leurs associés et mettent fin à leur conduite criminelle mais être intransigeant avec ceux qui refusent de coopérer.

 

Port-au-Prince/Bruxelles, 30 octobre 2006

I. Overview

Security is the core challenge for new President René Préval and the UN peacekeeping mission (MINUSTAH). Violence and impunity, rooted in the state’s weakness, are pervasive, especially in Port-au-Prince. Haiti’s five-month-old government must confront the illegal armed gangs, break the international crime/political power at ports and borders and cope with rising drug trafficking and kidnapping. Armed gangs and criminals, including elements of the Haitian National Police (HNP), perpetrate the violence but it is also fostered by the worst poverty in the Western Hemisphere. Dismantling the gangs and pursuing serious police reform are critical to every broader goal of the new administration, from education reform, infrastructure, private sector investment, jobs and agriculture to governance.

Conditions in Port-au-Prince dominate international perceptions. The provinces, where some 60 per cent of Haitians live, may be quiet but press and politicians respond to events in the capital. And impunity still rules across the entire country. The HNP are spread thin, poorly equipped, minimally trained and unable to confront any regional smuggling threats such as drugs, weapons, contraband and human trafficking coming through the porous ports and borders. Small planes operate with virtual freedom from make-shift airstrips in the countryside, whether carrying cocaine from Colombia or other illicit cargo.

The state security apparatus is as much a source of the problem as a solution. The HNP, along with the judicial system, is in dire need of reform. For two decades, donors have initiated police reform and judicial development projects and spent tens of millions of dollars. The 1987 constitution provided for an academy to train judges; the military was disbanded and the HNP instituted in 1995. None of these efforts have overcome endemic corruption, patronage and perception of the state as a means to personal enrichment.

New plans have again been drafted to restructure the police and judiciary: the Haitian National Police Reform Plan and the Strategic Plan for the Reform of Justice in Haiti. These, especially the police reform that includes vetting current officers, must be announced formally, implemented urgently and monitored transparently on a rigorous timetable. Judicial reform presents even more complexities, some constitutional, others requiring parliament’s approval and some, including nominations of new judges, needing a local government apparatus that does not yet exist. It is critical to the success of police reform and to building a rule of law that protects citizens and has their respect.

Protecting citizens also is a central goal of proposals to dismantle urban gangs in Port-au-Prince. With the newly appointed National Commission on Disarmament, Dismantlement and Reintegration (NCDDR), the government has put into place a three-part strategy for dealing with the gang-related violence and kidnappings that at times have paralysed the capital:

  • Since early August, MINUSTAH has been squeezing the gangs by seizing and holding their territory, including with checkpoints on the roads leading into and out of the slum areas.
     
  • The disarmament, demobilisation and reintegration (DDR) program for gang members has been linked to community development and violence reduction projects for the communities designed to create jobs, infrastructure and visible services and bolster the state’s presence in Cité Soleil, Bel Air, Martissant and other armed group strongholds. If gang members refuse to disarm, they are to be targeted by special HNP units backed by MINUSTAH troops and police (UNPOL).
     
  • The NCDDR is to coordinate the disarmament and violence reduction strategy and improve what has been a woeful effort to communicate with the public.

With support from UNPOL and MINUSTAH, the authorities also must begin to break up the networks that exploit the lack of rule of law at nearly all Haiti’s ports and border crossings. Estimates are that between $100 million and $240 million are lost each year in uncollected customs and port revenues. Transparent accounting and utilisation of port and border revenues could go a long way towards encouraging tax compliance and cutting down on illegal drug trafficking and smuggling, while effective law enforcement in selected port and border crossings also would encourage foreign direct investment.

None of the needed reforms will happen quickly: citizens’ trust has been deeply damaged over two decades of fitful democratic transition, and the state neither yet possesses nor is seen to possess the monopoly on legitimate use of force that a functioning state must have. Immediate practical steps for the new government and MINUSTAH to take, with financial and technical aid from donors, include:

  • implementing the National Police Reform Plan by setting a timetable to vet every officer, retaining, retraining, arming and mentoring those who are cleared, while removing the others but giving those against whom no criminal charges are pending a soft landing in a retraining program;
     
  • completing the database and registration of all police officers and their weapons, and applying standards for recruitment, merit-based promotion, career development and a new code of conduct;
     
  • building the 200 commissariats called for in the police reform plan and considering co-locating some with health clinics, legal aid offices and potable water sources, where women and children gather;
     
  • physically taking back control of the docks and border crossings and ensuring customs and ports fees are paid into the state treasury;
     
  • building a viable vetting procedure into the justice reform plan so as to target and remove corrupt judges, creating special chambers of respected jurists to handle the most serious cases and using ad hoc panels with international advisers to review pre-trial detentions; and
     
  • dismantling the gangs and reducing community violence by retraining and reintegrating into society gang members who disarm, prosecuting with a degree of leniency the leaders who turn state’s evidence and end their criminal conduct and giving no quarter to those who refuse to cooperate.

 

Port-au-Prince/Brussels, 30 October 2006

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