Report 68 / Middle East & North Africa 5 minutes

Après Gaza

La prise de Gaza par le Hamas, la dissolution par le président Abbas du gouvernement d’union nationale et la nomination d’un autre dirigé par Salam Fayyad représentent un tournant dans l’histoire du mouvement national palestinien.

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Synthèse

La prise de Gaza par le Hamas, la dissolution par le président Abbas du gouvernement d’union nationale et la nomination d’un autre dirigé par Salam Fayyad représentent un tournant dans l’histoire du mouvement national palestinien. Certains le voient d’un œil positif, jugeant qu’Israël sera davantage disposé à conclure un accord de paix avec ce nouveau gouvernement. Ils espèrent que les progrès en Cisjordanie, la paralysie à Gaza et la pression de plus en plus forte de la part de la population palestinienne aboutiront à la défaite du Hamas lequel, discrédité, sera forcé de jeter l’éponge. Ils se trompent. À Ramallah, le gouvernement prend enfin des mesures afin de réorganiser les forces de sécurité et de faire cesser le règne des milices armées ; Israël se montre disposé, dans une certaine mesure, à aider ; et le Hamas se démène avec sa victoire empoisonnée. Mais aussi longtemps que les palestiniens demeureront divisés, ces progrès ne tiendront qu’à un fil. La sécurité et un processus de paix crédible dépendent d’un minimum de consensus inter-palestinien. L’isolement du Hamas ne fait que renforcer son aile la plus radicale. La nomination de Tony Blair au poste d’Envoyé spécial du Quartette pour le Proche-Orient, la rencontre internationale programmée et la relance de négociations israélo-palestiniennes sont autant de raisons d’afficher un optimisme prudent. Mais un nouveau système de partage du pouvoir entre le Fatah et le Hamas demeure indispensable à une paix durable. Si cela arrive, le reste du monde devra, le moment venu, faire ce qu’il aurait dû faire depuis longtemps : l’accepter.  

Les évènements de Gaza ont donné lieu à des interprétations radicalement différentes. Le Fatah et les proches d’Abbas le qualifient de coup d’État cruel et illégitime qui a révélé le vrai visage des islamistes. Selon eux, le plan a été prémédité et mené avec le soutien de l’Iran. Ils affirment être en possession de preuves filmées d’un complot ourdi par le Hamas pour assassiner Abbas. Le Hamas, de son côté, dénonce également un complot, mais cette fois échafaudé par des éléments du Fatah dans le but de priver les islamistes de leur victoire électorale et de renverser l’accord de la Mecque signé par les deux organisations rivales. Ils affirment que ces éléments favorisaient l’anarchie dans la Bande de Gaza et que les États-Unis, Israël et plusieurs États arabes conspiraient pour isoler le Hamas mais aussi pour armer et entraîner des forces loyales à l’homme fort du Fatah, Muhammad Dahlan, et se préparer à une confrontation. Les actions du Hamas, insistent-ils, ont été accomplies à titre préventif.

Aucune de ces deux interprétations n’est complètement fausse. Des preuves mais aussi des évènements rapportés à Crisis Group par des témoins oculaires suggèrent que les forces armées du Hamas, c’est-à-dire la Force exécutive et les brigades Al-Qassam, étaient en train de renforcer leur arsenal et de se préparer au combat. Leur brutalité et leur mépris pour la vie humaine au plus fort de la confrontation ne font aucun doute. Mais le Fatah est loin d’être irréprochable : dès la signature de l’accord de la Mecque, certains de ses représentants et conseillers présidentiels commencèrent un travail de sape. Ils demandèrent aux gouvernements européens de poursuivre le boycott du Hamas et de mesurer leur confiance au gouvernement d’unité nationale. Il est compréhensible que les islamistes aient perçu les plans de sécurité à Gaza comme une tentative de consolider une force destinée à les combattre.

L’échec de l’accord de la Mecque reflète les approches contradictoires des deux parties palestiniennes : l’incapacité du Fatah à accepter la perte de sa domination politique jointe à l’incapacité du Hamas à accepter des limites à son pouvoir. Mais il serait de mauvaise foi de minimiser le rôle des acteurs externes, notamment des États-Unis et de l’Union européenne. 

En refusant de traiter avec le gouvernement d’unité nationale et en travaillant de manière ponctuelle avec certains de ses membres ne faisant pas partie du Hamas, en maintenant les sanctions économiques et en apportant un soutien en matière de sécurité à l’une des parties afin de déjouer les plans de l’autre, ils ont largement contribué à la situation dont ils se plaignent publiquement aujourd’hui. Ils ont aidé, par leurs paroles et leurs actes, à convaincre d’importantes figures du Fatah que le gouvernement d’union nationale n’était qu’un phénomène transitoire et qu’elles reprendraient le contrôle de l’Autorité palestinienne (AP). Ils ont simultanément aidé à convaincre d’importantes personnalités du Hamas que le gouvernement d’union nationale était un piège, que le temps ne jouait pas en leur faveur et qu’elles devaient agir avant que leurs adversaires ne deviennent trop puissants. La crise ne vient pas de l’accord de Mecque mais bien des tentatives systématiques de le saper.

Les récents évènements brossent un tableau complexe. À Gaza, le Hamas a enregistré d’incontestables avancées en matière de rétablissement de l’ordre public. Le journaliste britannique Alan Johnston, qui était retenu en otage, a été libéré, et les Gazaouis assurent se sentir plus en sécurité qu’auparavant. Mais la mainmise du Hamas sur presque toutes les institutions de l’AP, les violations de libertés fondamentales et le harcèlement des membres du Fatah sont de mauvais augure. Le Hamas n’a pas non plus su faire face à la fermeture des points de passage essentiels, la chute brutale des échanges commerciaux et la crise humanitaire grandissante. En Cisjordanie, également, les signes de progrès sont visibles, notamment sur le plan de la réorganisation du secteur de la sécurité, des fonds internationaux sont injectés, la coopération israélo-palestinienne a repris, et il est question de négociations politiques. Il y a néanmoins un revers de la médaille : les lois fondamentales sont suspendues, Gaza et la Cisjordanie sont séparées et les institutions obsolètes de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ont été ressuscitées au détriment des organes élus de l’AP comme le Parlement.  

La question essentielle, à laquelle ni les Palestiniens ni la communauté internationale n’ont été en mesure de répondre, est de savoir s’il est possible d’assurer la sécurité et d’aller vers un règlement impliquant la coexistence de deux États avec une administration palestinienne politiquement et géographiquement divisée. Paradoxalement, plus la stratégie de renforcement d’Abbas fonctionnera, plus le Hamas voudra la saboter. Ainsi, le progrès génèrera ses propres menaces. Si l’histoire se répète, exercer une pression sur le Hamas sans lui proposer d’autre option viable l’encouragera à intensifier la violence contre Israël dans l’espoir qu’une nouvelle confrontation déstabilise Abbas, torpille les progrès diplomatiques et engendre de nouvelles dynamiques intra-palestiniennes. En effet, comment Abbas pourra-il décréter un cessez-le-feu sans l’accord des islamistes et de leurs alliés ? Comment pourra-il rendre légitime un accord politique avec Israël, qui obligatoirement comprendra des concessions pénibles et impopulaires, si les nombreux partisans du Hamas se sentent exclus ? Comment pourra-t-il s’engager dans la construction d’un État sans la participation de Gaza ?

La voie la plus encourageante serait que le Fatah et le Hamas cessent immédiatement leurs actions hostiles mutuelles et commencent à renverser la situation de séparation entre Gaza et la Cisjordanie ainsi qu’à restaurer le fonctionnement démocratiques des institutions. À plus long terme, ils devraient trouver un nouveau système de partage du pouvoir comprenant notamment :

  • Une ligne politique plus claire, qui accepte l’Initiative de paix arabe de manière explicite ;
     
  • la volonté de parvenir à un cessez-le-feu israélo-palestinien réciproque et global ;
     
  • la réforme des services de sécurité, pour mettre fin à leur politisation et leur factionnalisation, en particulier par la voie de l’intégration des membres de la Force exécutive du Hamas;
     
  • la réforme de l’OLP, pour qu’elle inclue le Hamas et le Jihad islamique ;
     
  • la formation d’un nouveau gouvernement d’union approuvé par le Parlement ; et
     
  • la perspective d’élections présidentielles et législatives avancées, qui seraient tenues au moins un an après la mise en place d’un nouveau gouvernement.

Pour parvenir à ce résultat, les États arabes et autres tierces parties devraient proposer de jouer le rôle de médiateurs et d’observateurs d’un éventuel accord. Si les parties parviennent à un accord, le Quartette devrait être préparé à collaborer sur les plans politique et économique avec un nouveau gouvernement.

Compte tenu des circonstances actuelles et des interventions extérieures de la part de diverses parties, une réconciliation est difficilement envisageable. Le Fatah doit accepter un système véritablement pluraliste. Le Hamas se doit d’expliquer au peuple palestinien les véritables objectifs politiques qu’il poursuit et comment il souhaite que le mouvement national y parvienne. Israël doit se résoudre à mettre fin à l’occupation. La communauté internationale doit accepter le droit des Palestiniens de choisir eux-mêmes leurs représentants. Mais, quoi qu’il en soit, l’existence d’un consensus palestinien stable et l’introduction des islamistes dans le système politique demeurent indispensables à tout processus de paix. C’était l’intuition originale d’Abbas, qui a permis d’aboutir aux élections de 2006 et à l’accord de la Mecque. Malgré la colère compréhensible des parties, elle reste toujours la meilleure. 

 Amman/Jérusalem/Gaza/Bruxelles, 2 août 2007

Executive Summary

Hamas’s takeover of Gaza and President Abbas’s dismissal of the national unity government and appointment of one led by Salam Fayyad amount to a watershed in the Palestinian national movement’s history. Some paint a positive picture, seeing the new government as one with which Israel can make peace. They hope that, with progress in the West Bank, stagnation in Gaza and growing pressure from ordinary Palestinians, a discredited Hamas will be forced out or forced to surrender. They are mistaken. The Ramallah-based government is adopting overdue decisions to reorganise security forces and control armed militants; Israel has reciprocated in some ways; and Hamas is struggling with its victory. But as long as the Palestinian schism endures, progress is on shaky ground. Security and a credible peace process depend on minimal intra-Palestinian consensus. Isolating Hamas strengthens its more radical wing and more radical Palestinian forces. The appointment of Tony Blair as new Quartet Special Envoy, the scheduled international meeting and reported Israeli-Palestinian talks on political issues are reasons for limited optimism. But a new Fatah-Hamas power-sharing arrangement is a prerequisite for a sustainable peace. If and when it happens the rest of the world must do what it should have before: accept it.

The events in Gaza have given rise to wholly conflicting accounts. For Fatah and those close to Abbas, they were a murderous, illegitimate coup that exposed the Islamists’ true face. The plan, they say, was premeditated and carried out with Iranian backing. They claim to have video proof of a Hamas-led plot to assassinate Abbas. Hamas, too, denounces an attempted coup, though one planned by Fatah elements determined to rob the Islamists of their electoral victory and overturn the Mecca Agreement between the two rival organisations. They say those elements were fostering lawlessness in the Gaza Strip and that the U.S., Israel and several Arab countries conspired to isolate Hamas as well as arm and train forces loyal to Fatah strongman Muhammad Dahlan in anticipation of a showdown. Hamas’s actions, they insist, were preemptive.

There is truth to both accounts. Evidence and eye-witness stories collected by Crisis Group suggest Hamas’s armed forces – the Executive Security Force and the Qassam Brigades – were strengthening their arsenal and taking steps in preparation for a fight. Their brutality and disregard for human life at the height of the confrontation also is beyond doubt. But Fatah cannot escape blame. From the moment the Mecca Agreement was signed, several of its officials and presidential advisers undercut it. They urged European governments to neither end their boycott of Hamas nor too closely embrace the unity government. Security plans in Gaza understandably could be read by the Islamists as attempts to bolster a force intended to confront them.

The Mecca Agreement’s collapse reflected conflicting domestic agendas: Fatah’s inability to come to terms with the loss of hegemony over the political system coupled with Hamas’s inability to come to terms with the limitations of its own power. But it would be disingenuous in the extreme to minimise the role of outside players, the U.S. and the European Union in particular.

By refusing to deal with the national unity government and only selectively engaging some of its non-Hamas members, by maintaining economic sanctions and providing security assistance to one of the parties in order to outmanoeuvre the other, they contributed mightily to the outcome they now publicly lament. Through their words and deeds, they helped persuade important Fatah elements that the unity government was a transient phenomenon and that their former control of the Palestinian Authority (PA) could be restored. And they helped convince important Hamas elements that the unity government was a trap, that time was not on their side and they should act before their adversaries became too strong. The crisis was not produced by the Mecca Agreement but rather by deliberate and systematic attempts to undermine it.

Recent events present a mixed picture. In Gaza, Hamas has made undeniable strides in restoring order. Alan Johnston, the kidnapped British journalist, was released, and Gazans testify to feeling more secure than in a long time. But the Islamists’ takeover of virtually all PA institutions, the curtailment of basic freedoms and harassment of Fatah members bode ill. Nor has Hamas found a way to cope with the closing of vital crossing points, the sharp drop in trade and the accelerating humanitarian crisis. In the West Bank, too, there are signs of progress, including steps to reorganise the security sector, the infusion of international funds, renewed Israeli-Palestinian cooperation and talk of political negotiations. There is also a darker side, however, including the suspension of basic laws, separation between Gaza and the West Bank and revival of obsolete Palestinian Liberation Organisation (PLO) institutions at the expense of elected PA bodies such as the parliament.

The basic question, to which neither Palestinians nor the international community has responded, is whether it is possible to ensure security and move toward a two-state settlement with a politically and geographically divided Palestinian polity. Paradoxically, the more successful the strategy of strengthening Abbas, the greater Hamas’s motivation to sabotage it. Progress thus would create its own threats. If past is prologue, putting Hamas under pressure without giving it a reasonable alternative would lead it to escalate violence against Israel in the expectation that renewed confrontation would embarrass Abbas, torpedo diplomatic progress and alter intra-Palestinian dynamics. How can Abbas deliver a ceasefire without the Islamists and their allies? How can he legitimise a political agreement with Israel – which must entail difficult and unpopular concessions – if Hamas’s significant constituency feels excluded? How can he move toward building a state if Gaza is left out?

A more promising course would be for Fatah and Hamas to immediately cease hostile action against each other and begin to reverse steps that are entrenching separation between Gaza and the West Bank and undermining democratic institutions. In the longer run, they should seek a new power-sharing arrangement, including:

  • a clearer political platform, explicitly endorsing the Arab Peace Initiative;
     
  • a commitment to a reciprocal and comprehensive Israeli-Palestinian ceasefire;
     
  • reform of the security services, to include de-factionalisation and integration of Hamas’s Executive Security Force;
     
  • reform of the PLO, expanding it to include Hamas and Islamic Jihad;
     
  • formation of a new unified government approved by the parliament; and
     
  • consideration of early presidential and legislative elections, although not before one year after the establishment of new government.

To facilitate this, Arab states and other third parties should offer their mediation and monitoring of any agreement. If an agreement is reached, the Quartet should be prepared to engage with a new government politically and economically.

Under current circumstances and given outside interference from various parties, reconciliation is hard to contemplate. Fatah must accept a truly pluralistic system. Hamas owes the Palestinian people answers as to its ultimate political goals and how it wants the national movement to achieve them. Israel must internalise the need to bring the occupation to an end. The international community must accept the right of Palestinians to select their own leaders. Ultimately, a stable Palestinian consensus and the Islamists’ inclusion in the political system are vital to any peace process. That was Abbas’s original intuition. It led to the January 2006 elections and then to Mecca. The parties’ understandable current anger notwithstanding, it remains the right one.

 Amman/Jerusalem/Gaza/Brussels, 2 August 2007

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