La République centrafricaine : une troisième transition en 13 mois
La République centrafricaine : une troisième transition en 13 mois
Fixing the army is key for CAR’s stability
Fixing the army is key for CAR’s stability
Commentary / Africa 8 minutes

La République centrafricaine : une troisième transition en 13 mois

Pourquoi la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC) a-t-elle forcé le Président centrafricain de la transition (Michel Djotodia) et le Premier ministre (Nicolas Tiangaye) à démissionner, ouvrant la voie à une nouvelle transition ?

En 2013, la République centrafricaine s’est effondrée : les salaires des fonctionnaires ont été payés par des bailleurs étrangers (notamment le Congo-Brazzaville) ; la sécurité est complètement assurée par les forces internationales; il n’y a plus de gouvernement en place et tous les services étatiques se sont effondrés. La décision de l’Union Européenne (du 20 janvier) d’envoyer des troupes – dans l’attente de la résolution des Nations Unies attendue pour la fin de la semaine – indique que l’engagement international va s’intensifier.

La CEEAC a sanctionné le Président et le Premier ministre en raison de l’échec de la transition dont ils avaient la charge et qui a débuté suite au coup d’Etat de la Seleka en mars 2013. Ils ont été convoqués pour assister au sommet de la CEEAC à Ndjamena début janvier. Le même jour, le 9 janvier, 70 membres du Conseil national de transition (qui fait office de parlement de transition depuis le coup d’Etat de la Seleka et qui compte 135 membres représentant les différentes tendances politiques en RCA), ont été acheminés d’urgence dans la capitale tchadienne afin de valider ces démissions sans que les hommes politiques centrafricains n’aient eu leur mot à dire. Les deux leaders de la transition ont été accusés de ne pas avoir été capables de restaurer l’ordre dans la capitale, Bangui, et Michel Djotodia était de plus en plus considéré comme une source de problèmes. Son incapacité à exercer un contrôle sur les combattants de la Seleka et son double discours d’homme raisonnable devant les partenaires internationaux mais attisant la haine à l’intérieur du pays, ont été de moins en moins acceptés par la région et la France. Des consultations informelles entre les autorités françaises et les présidents de la région ont conduit à l’exclusion de Djotodia de l’échiquier politique centrafricain.

Après le déploiement de l’opération militaire française “Sangaris”, une solution politique aurait dû émerger mais le duo à la tête de l’exécutif s’est montré incapable d’en proposer une. Depuis l’accord politique de janvier 2013, Nicolas Tiangaye alors nommé Premier ministre et Michel Djotodia n’ont pas été capables de travailler de concert (Djotodia, qui dirigeait la Seleka, est devenu Président à la fin du mois de mars suite au coup d’Etat et à la fuite  de François Bozizé). Au cours de l’année 2013, ils n’ont pas réussi à mettre en place des structures administratives fonctionnelles. Après l’attaque de Bangui par les anti-balaka (« anti-machette » en sango) le 5 décembre, le gouvernement de transition a tout simplement cessé d’exister. Le Premier ministre a été menacé par les commandants de la Seleka et accusé de complot ; trois ministres considérés comme hostiles à la Seleka ont été licenciés sans que les procédures légales n’aient été respectées ; et les combattants de la Seleka ont entamé une campagne de représailles sanglantes à Bangui qui, en quelques jours, a causé la mort d’au moins 1000 personnes. Etant donné le chaos qui sévissait dans la capitale, le Premier ministre et le Président ont perdu toute légitimité aux yeux des habitants de Bangui et des acteurs internationaux.

Quel est le processus en place pour les remplacer ?

A Ndjamena, il a été décidé que le Conseil national de transition (CNT) avait deux semaines pour choisir un nouveau chef d’Etat de la transition. Les membres du CNT ont ainsi établi 17 critères d’admissibilité qui ont exclu de facto un grand nombre de candidats potentiels appartenant à la scène politique centrafricaine. A l’instar des membres du CNT, les chefs de partis politiques et les anciens ministres du gouvernement de transition ont été interdits de postuler. Parmi les 24 candidats enregistrés par le CNT, 8 seulement respectaient ces critères. Lundi 20 janvier, une majorité des membres du CNT a finalement élu Catherine Samba Panza, nouvelle présidente de la transition.

La démission forcée du Président et du Premier ministre, ainsi que le processus de sélection des nouvelles autorités de la transition, illustrent la mise sous tutelle de facto de la Centrafrique. Le G5, tel qu’on le surnomme à Bangui (Nations Unies, Union Africaine, Union Européenne, France et Etats Unis), a supervisé le processus et a fermement recommandé la prise en compte de certains critères. Par ailleurs, il a convaincu le président du CNT de ne pas poser sa candidature et a suivi de près les audiences des candidats présidentiels. Bien qu’il n’ait pas imposé de choix définitif, le G5 a clairement influencé le processus de sélection.

Qui est Catherine Samba Panza, la nouvelle présidente ? 

Le 19 janvier, huit noms ont été sélectionnés par le CNT. Parmi eux, deux fils d’anciens présidents (Patassé et Kolingba), deux maires de Bangui (l’actuel Maire Catherine Samba Panza et un ancien maire pro-Bozizé), un homme d’affaires connu de Berberati (Raymond Gros-Nakombo) un chef traditionnel, Maxime Faustin Mbringa Takama, Sultan de Bangassou, une localité située dans la province du Mbomou au sud du pays, qui déclare avoir chassé la Seleka de son fief, et un commerçant.

L’élection s’est jouée en deux tours mais les candidats les plus sérieux étaient depuis le début Mr Kolingba, fils de l’ancien président Kolingba, et Madama Samba Panza (premier tour : 64 voix pour Samba et 58 pour Kolingba ; second tour : 75 pour Samba et 53 voix pour Kolingba). Tous les candidats ont eu dix minutes pour se présenter et dévoiler en quelques mots leurs mesures principales. Le discours le plus abouti a été sans aucun doute celui de Mme Samba Panza. Elle a rappelé qu’elle était née au Tchad d’un père camerounais et d’une mère centrafricaine, se présentant ainsi comme le « meilleur exemple d’intégration régionale ». Elle a déclaré vouloir mettre en place un gouvernement de technocrates, avec un maximum de 18 membres, comptant autant d’hommes que de femmes. Dans son premier discours, elle a exhorté les anti-balaka et la Seleka à procéder rapidement à un désarmement.

Pour la première fois dans l’histoire de la Centrafrique, une femme devient présidente. Dans son parcours, elle s’est davantage engagée au sein de la société civile que dans la vie politique. Elle a travaillé dans le secteur privé, a été vice-présidente de l’Association des femmes juristes de Centrafrique et s’est impliquée au sein du Conseil national de médiation. Elle a fait ses premiers pas en politique au moment du Dialogue national tenu à Bangui en 2003 après le coup d’Etat de François Bozizé. Elle incarne le rejet de l’establishmentpolitique qui a « ruiné le pays » (cela a été répété par plusieurs candidats) et la nécessité d’une nouvelle approche. Son élection rassure les bailleurs étrangers et la société civile centrafricaine mais pourrait ne pas être du goût des groupes armés. Plusieurs chefs anti-balaka s’étaient réunis pour soutenir l’ancien maire de la capitale proche de Bozizé et dans les jours à venir, la tension pourrait monter à Bangui. En conséquence, les troupes françaises et africaines ont d’ores et déjà accru leur surveillance dans les rues de Bangui.

Que peut-on attendre de la nouvelle transition ?

C’est la troisième transition en RCA depuis janvier 2013 et la signature de l’Accord de Libreville. La première transition a été menée par un gouvernement de coalition composé du camp Bozizé, de la Seleka et de l’opposition politique. Quant à la seconde transition, qui a débuté après le coup d’Etat du 24 mars 2013, elle a été dirigée par la Seleka et l’opposition politique.

Aujourd’hui, tout le monde se demande quelle peut être la composition du troisième gouvernement de transition, étant entendu que de cette composition dépendra la stabilité et le fonctionnement des autorités.  Compte tenu du fait que le processus de sélection du président est déjà contesté, le gouvernement devra être un miroir des principales tendances politiques. Si tel n’est pas le cas, les chefs des partis politiques qui ont été exclus de la course à la présidentielle vont certainement tenter de le déstabiliser. Les hommes politiques proches de Bozizé ne vont pas hésiter à mobiliser la rue et à utiliser les milices anti-balaka pour mettre la pression sur les nouvelles autorités.

Pour les nouvelles autorités de transition, le premier test en matière de gouvernance sera le retour de la sécurité à Bangui. Depuis l’exclusion de Djotodia, les problèmes sécuritaires à Bangui sont suspendus mais pas résolus. Le risque d’une reprise des combats entre les combattants de la Seleka et les milices anti-balaka est important, notamment en raison de la présence massive des hommes de la Seleka dans quatre camps militaires de la capitale. Un programme de désarmement, démobilisation et réintégration efficace – qui évite les erreurs commises dans le passé et qui privilégie des programmes de réinsertion à l’intégration des ex-combattants dans de nouvelles unités policières ou militaires – doit être mis en œuvre en priorité par les forces internationales de maintien de la paix. Les milices anti-balaka déclarent ne pas vouloir déposer les armes avant que les forces internationales (la mission de l’Union Africaine nommée la Misca et la mission Sangaris) ne désarment les combattants de la Seleka. Le second problème de sécurité à Bangui concerne la montée d’un sentiment antimusulman qui depuis plusieurs semaines  engendre des violences et des déplacements de population. Résoudre ces deux problèmes de sécurité implique une coopération transparente et soutenue entre les nouvelles autorités de la transition et les forces internationales.

 Qu’en est-il aujourd’hui de la Seleka et des anti-balaka ?

La majorité des combattants de la Seleka est actuellement cantonnée à Bangui, sous supervision internationale, mais aucune décision n’a été prise quant à leur avenir proche. Il est pour le moment impossible d’évaluer la force réelle de la Seleka car certains combattants restent actifs en dehors de Bangui.

Les anti-balaka viennent de milieux ruraux, utilisent des armes traditionnelles et fabriquées à la main, et portent des grigris afin de se rendre invisibles et invincibles. La plupart des combattants anti-balaka sont des adolescents illettrés, dont les familles ont été tuées et les villages ravagés par les combattants de la Seleka. Ils ont tout perdu et migrent vers Bangui pour se venger. Leur objectif est de voir la Seleka désarmée, chassée de Bangui et des provinces alentours. Ils les appellent les « Arabes » et les considèrent comme des étrangers.  Chaque jour à Bangui et dans les environs, des musulmans sont tués ; chaque manifestation dans la capitale se termine par une chasse à l’homme. Deux musulmans ont été lynchés samedi 19 janvier dans le centre-ville.

Deux franges opposées de la population centrafricaine sont donc en confrontation directe. L’arrivée de combattants musulmans venus du nord du pays dans les territoires du sud et de l’ouest ravive ainsi la mémoire de la période de l’esclavage par les commerçants musulmans. Il s’agit d’un traumatisme significatif dans l’histoire de la Centrafrique. Les dix groupes anti-balaka sont organisés par région, la plupart d’entre eux viennent de l’ouest et du sud du pays et sont en majorité issus du peuple Gbaya (l’ethnie de François Bozizé).

Politiquement, les anti-balaka se sont récemment divisés en deux mouvements : le Front de résistance (majorité) et les Combattants pour la libération du peuple centrafricain (minorité pro-Bozizé). La séparation est survenue juste après la démission de Michel Djotodia : alors que la majorité voulait négocier avec l’Union Africaine, les Nations Unies et la France, la minorité pro-Bozizé voulait continuer la lutte armée.

Sur les 10 groupes anti-balaka, trois ont décidé de former le mouvement des Combattants pour la libération du peuple centrafricain, dirigé par un ancien député proche de  Bozizé, en connexion étroite avec un mouvement créé en France par Bozizé, le Front pour le retour de l’ordre constitutionnel en Centrafrique (Froca). Ces combattants appartiennent donc au peuple Gbaya, de Bossangoa, le fief de Bozizé. Les Combattants pour la libération du peuple centrafricain sont mieux équipés que les autres mouvements anti-balaka et sont dirigés par un ancien militaire proche de Bozizé. Il n’y a donc aucun doute sur le fait que ce dernier veut utiliser ce groupe pour reprendre le pouvoir. Parallèlement, il va les utiliser pour faire pression sur les nouvelles autorités de transition et s’assurer que son mouvement sera représenté dans le nouveau gouvernement.

Aucun de ces problèmes ne va disparaître avec l’entrée en fonction du nouveau gouvernement. Ce n’est qu’une fois la sécurité restaurée à Bangui que le nouveau gouvernement de transition pourra tenter de rétablir la sécurité dans les provinces – y compris en travaillant étroitement avec les soldats de maintien de la paix pour protéger les camps de déplacés internes – et examiner la feuille de route politique et économique rédigée par l’ancien gouvernement. Cette feuille de route, qui n’a pas été mise en œuvre jusqu’à présent, souligne la nécessité de reconstruire en priorité les fonctions et les structures clés de l’Etat. Si les nouvelles autorités de la transition entament cette reconstruction avec le support des acteurs internationaux, cela mettra fin à l’impression qu’aucun pouvoir ne peut perdurer en République centrafricaine. Dans le cas contraire, la troisième transition sera rapidement perçue comme un nouvel échec.

Contributors

Former Senior Consultant, Central Africa
Former Senior Analyst, Chad

Subscribe to Crisis Group’s Email Updates

Receive the best source of conflict analysis right in your inbox.